Le français est-il une langue libre ?

Où je démontre que l’on peut être une traductrice indépendante depuis 20 ans ET posséder une DeLorean virtuelle. Cet exposé vous emmène voyager dans le passé. Pour tenter de répondre à la question du titre, nous allons interroger une dizaine de personnalités historiques et contemporaines offrant divers points de vue. Et en fin de voyage, nous accueillerons deux invités surprise.

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Par Isabelle Meurville

Nous allons programmer la DeLorean sur votre année de cours élémentaire deuxième année (CE2), lorsque vous aviez 7 ou 8 ans. Vous savez l’année du_00:46:29_ sourire édenté ? Parce qu’en France, c’est en CE2 que les enfants apprennent que le masculin l’emporte sur le féminin, c’est-à-dire que l’on nomme au masculin les groupes mixtes, composés de femmes et d’hommes. Et à ce moment-là souvent, dans la classe, jaillit une série de questions : « Mais même s’il y a un milliard de femmes et un seul homme, on doit dire “ils” ?! » et le couperet de la réponse tombe. « Oui ! Même s’il y a un milliard de femmes et un seul homme, on doit dire “ils”. »

Une fillette aux cheveux bruns lit un livre par terre avec un énoncé qui explique pour le masculin emporte toujours sur le féminin en français

Quand ma fille est rentrée à la maison avec cette question du chat qui l’emporte sur les petites filles, elle exprimait le même sentiment d’injustice. Et ce sentiment d’injustice ne date pas d’hier.

Nous allons programmer notre DeLorean sur l’hiver 1676 et nous atterrissons sur la terrasse du château de Grignan où réside Mme de Sévigné, notre première invitée en direct du XVIIe siècle. Mme de Sévigné pousse la porte-fenêtre et arpente la terrasse pour admirer le coucher de soleil qui embrase la campagne. Mais il fait frais, elle grelotte, frissonne et finit par rentrer. La suite, c’est son correspondant qui la relate :

– Madame de Sévigné s’informant de ma santé, je lui dis : Madame, je suis enrhumé.

– Je LA suis aussi, me dit-elle.

– Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire je LE suis.

– Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au menton si je disais autrement.

De deux choses l’une. Soit Mme de Sévigné était une dangereuse islamogauchiste adepte du wokisme. Soit, la volonté de nommer les femmes au féminin s’inscrit dans une longue tradition française.

L’objection sur l’assassinat de Molière

Il arrive que l’on reproche à l’écriture inclusive d’assassiner Molière. Rappelons que les auteurs et autrices de l’époque avant le XVIIIe siècle appliquaient aussi la règle de proximité.

Extrait d'un texte d'Iphigénie pour démonter l'utilisation de la règle de proximité chez Jean Racine

Que remarque-t-on dans cet extrait d’Iphigénie ? L’accord se fait en genre et en nombre avec le substantif le plus proche.

L’expression « est toute prête » se rapporte en fait non seulement à la flamme, mais au bandeau et au fer. Cet accord de proximité permettait de dire « les hommes et les femmes sont belles » ou « les femmes et les hommes sont beaux ». On accorde au nom le plus proche.

Que s’est-il passé en 1735 ? Louis XIII demande au cardinal de Richelieu de créer l’Académie française pour régir la langue. L’opération va créer un entre soi, un critère qui permettra de distinguer l’élite (la noblesse) du peuple et de garder la main sur le savoir, d’entraver toute réflexion (pouvant être séditieuse) que permet la langue. Puisque la langue donne accès au savoir et à la réflexion, elle est un outil politique puissant. Il existe bien sûr une volonté d’unifier le royaume de France, aussi, car 80 % de la population du royaume parlait à l’époque quantité de langues régionales.

Mais pourquoi accorde-t-on au masculin ?

Parmi les décisions régentant la langue, dans la grammaire publiée par Nicolas Beauzée dans son édition de 1767, le grammairien explique que l’argument pour choisir cette règle aux dépens d’autres est que : « l’homme est plus noble que la femme ». L’argument n’a rien à voir avec la grammaire, il ne vient pas du latin ni d’ailleurs. Il aurait été possible de choisir l’accord de majorité, ou d’appliquer l’accord de proximité qui côtoyait les autres règles avant que l’Académie française et les grammairiens de l’époque ne prennent cette décision unilatérale. L’argument de son confrère, Napoléon Landais, 67 ans plus tard, varie peu : « le genre masculin est le plus noble, on doit lui donner la préférence ».

La noblesse, aujourd’hui, ne serait-elle pas d’appliquer des règles équitables ?

L’objection du masculin neutre

En français, il n’existe pas de genre grammatical neutre. Concernant les êtres humains, les hommes sont nommés au masculin et les femmes au féminin. Il existe quelques très rares exemples inverses : vigie, recrue, victime, témoin… qui s’explique souvent par le fait que le mot désignait un objet avant de désigner un être humain, mais sexe et genre grammatical sont étroitement liés. D’ailleurs comme en latin où le neutre ne désignait pas des êtres humains à l’exception du nourrisson et de l’esclave, qu’à l’époque on ne considérait pas véritablement comme des humains.

Le mirage du masculin qui inclurait les femmes

Une étude de 2007, menée par Markus Brauer et Michaël Landry chiffre l’importance de nommer au féminin. L’équipe de recherches a interrogé aléatoirement des personnes en leur demandant de citer leur héros ou leur musicien préféré (générique masculin). Dans la deuxième expérience, leur héros préféré ou leur héroïne préférée (générique épicène). « Dans la condition générique masculin 38,8 % des enfants et 20,6 % des adultes imaginent une femme, alors que la même chose est vraie pour 54,4 % des enfants et 40,4 % des adultes dans la condition générique épicène ». On voit que la présence des mots au féminin fait grimper la présence des femmes dans les réponses.

Prenons un autre exemple de recherche en neurolinguistique. Pascal Gygax et Sandrine Zufferey de l’université de Fribourg en Suisse ont donné les 2 phrases « Les musiciens sont sortis de la salle de concert sous la pluie. Un homme a sorti un parapluie » et ont demandé aux volontaires si les 2 phrases avaient un lien. La réponse était oui instantanément.

Mais avec la phrase : « Les musiciens sont sortis de la salle de concert sous la pluie. Une femme a sorti un parapluie ». La même question est posée aux volontaires de l’étude « Est-ce que ces deux phrases ont un lien ? ». Et le cerveau met plus de temps avant de répondre, parce que nous hésitons.

La femme pourrait faire partie des musiciens, puisque le masculin l’emporte, mais, peut-être pas. C’est ce doute qui est troublant pour notre cerveau, le doute entre ce masculin dit générique et le masculin qui désigne des hommes. Les conclusions de l’étude montrent que nous mettons un moment à comprendre que la femme peut être une musicienne, parce que l’on a projeté sur notre écran mental un film ou une image d’un groupe d’hommes. Les musiciens sont des hommes. La femme qui sort son parapluie vient d’ailleurs.

Ces recherches concluent que nous interprétons le masculin non pas comme générique, mais comme se référant aux hommes. Nous n’interprétons pas, ou très difficilement, le masculin comme incluant les femmes.

Nommer fait exister

La question qui vient en regard de ces objections, c’est : « Mais pour quoi faire ? Pourquoi adopter l’écriture inclusive ? » En quoi parler des femmes au masculin est-il dommageable ? Il y a plusieurs réponses à cette question.

  • Toutes les discriminations sont dommageables, qu’elles reposent sur la race, le sexe, l’âge ou le handicap.
  • Le sexisme génère des écarts de salaires et de retraite.
  • Le masculin générique entrave la reconnaissance des femmes, en général.
  • En se privant de certaines personnes, la société tout entière se prive de talents. Les collégiennes et lycéennes ne se projettent pas dans des professions dont l’image est masculine et vice-versa.
  • Parler des femmes au masculin est dommageable parce que l’humanité est composée pour moitié de femmes et d’hommes, c’est une réalité mathématique.
  • Une dernière raison encore, nommer fait exister, ce qui n’est pas nommé n’existe pas.

Cette liste n’est pas exhaustive.

Une fillette aux cheveux bruns lit un livre par terre avec un texte qui reformule une phrase où le masculin n'emporte plus sur le féminin.

Il est possible de communiquer la même information sans nommer les trois petites filles au masculin.

Et maintenant ?

Reprenons notre DeLorean pour entrer dans l’histoire récente avec deux autres invitées. À la fin des années 1980, le gouvernement français crée une commission de néologie à qui est confiée la mission de travailler sur la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions. Notez qu’il ne confie pas la tâche à l’Académie française. Nos deux invitées contemporaines sont : la ministre des Droits de la femme Yvette Roudy, qui s’occupe du dossier et confie la présidence à Benoîte Groult. La commission produit un document qui fait toujours référence « Femme, j’écris ton nom ». Ce document dresse la liste exhaustive des noms de métiers féminins pour nommer les femmes et explique la manière de former le ou les féminins nécessaires.

En préface de ce document, on lit sous la plume de Lionel Jospin : « Qu’une femme exerçant les fonctions de directeur d’école porte depuis plus d’un siècle le titre de directrice alors que la femme directrice d’administration centrale était encore, il y a un an, appelée “madame le directeur” atteste, s’il en était besoin, que la question de la féminisation des titres est symbolique et non linguistique ».

Illisible ou elle-lisible ?

La multiplication du point médian peut rendre un texte difficile à lire au début, mais s’il est utilisé avec mesure et parcimonie, il n’est pas plus difficile à lire qu’une URL. Or, a-t-on cessé de développer et d’utiliser Internet parce qu’une URL, c’est difficile à lire ? Non. Utiliser des hashtags, arobases, etc. est devenu une habitude. Certes, le changement est difficile. Souvenez-vous comment dans les années 2000, on parlait d’arobasque, d’arobaste, on ne savait pas nommer le signe, ni le tracer. Aujourd’hui, ça n’est plus un sujet.

Quels critères pour évaluer la joliesse des mots ?

Certains noms de métiers féminins peu usités semblent bizarres au début. Par exemple, sapeuse-pompière a du mal à s’installer. Parce que la profession est très masculinisée, je dirais même qu’elle joue avec des codes de virilité. Mais nous comprenons très bien ce que veut dire le mot. Or la langue n’a pas d’autre objectif. Faire comprendre. En les utilisant, en s’y habituant, les nouveaux mots perdent leur bizarrerie.

Deux invités surprise

Je vous avais promis deux invités surprise… voici le premier. Il peut vous aider à accomplir votre mission. C’est le point médian. Sa carte d’identité nous apprend qu’il s’obtient avec la combinaison de touches Alt 0183. C’est un outil efficace, mais terriblement jaloux des autres signes que j’ai mentionnés plus haut (arobase, hashtag, etc.) parce que ces signes-là ont été adoptés sans qu’on en fasse toute une histoire. Le point médian (ou tout autre marqueur typographique : trait d’union ou barre de fraction) vous aidera à nommer les femmes et les hommes quand le texte doit obéir à des contraintes d’espace. Ne lui demandez rien d’autre. Que fait-il ? Il marque une abréviation. L’abréviation du doublet : les linguistes engagé·es.

Notre deuxième invité surprise est l’usage. L’usage, c’est vous, c’est nous. Or l’usage évolue. La langue est la nôtre, c’est à nous de décider ce que l’on en fait. À chaque époque, la langue évolue. Le français évolue. Comme toutes les langues vivantes. Aucune langue n’est figée. Le français a une histoire, que je vous invite à découvrir et qui continue à s’écrire, ici aujourd’hui. La langue sert à communiquer, à communiquer des idées, des concepts, elle est un dispositif de maintien de l’ordre social, elle est une construction politique qu’il est possible de se réapproprier. Faisons-le !

On peut à la fois aimer le français, sa richesse, sa complexité et son histoire, et  « avoir confiance dans sa vitalité, sans se complaire dans la nostalgie d’un passé mythique », je cite là Candéa et Véron. L’adaptation aux besoins de l’époque n’est pas un péril. Ayez de l’ambition et emparez-vous de la langue. Elle est à vous, elle est à nous.

Pour conclure, Mme de Sévigné n’était pas une femme à barbe, ni barbante d’ailleurs, l’écriture inclusive n’assassine ni Molière ni Racine, le féminin existe en français, ce qui rend votre mission possible.

110 portraits avec la citation « avoir confiance dans sa vitalité, sans se complaire dans la nostalgie d’un passé mythique » de Candéa et Véron.

Isabelle Meurville est traductrice indépendante depuis 2001. Elle traduit de l’anglais vers le français inclusif dans les domaines des droits fondamentaux et de la transition énergétique. Isabelle applique les règles du français inclusif pour éliminer les stéréotypes de la communication écrite et orale. Elle accompagne les entreprises et organisations qui partagent des valeurs de respect et d’égalité : rédaction, révision, formation. Consultez son profil LinkedIn ici.

Traduire inclusif en ressources humaines

Photo : Unsplash

Par Laurence Jay-Rayon Ibrahim Aibo, PhD

Bonjour à toustes !

Si la lecture de cette formule de politesse n’a provoqué chez vous ni embolie gazeuse ni violente allergie, vous pouvez continuer à lire le reste de cet article. Âmes résistantes au changement, s’abstenir.

La représentativité constitue un enjeu majeur en ressources humaines. Que l’on traduise une offre d’emploi, une politique d’entreprise ou une nouvelle directive, il s’agit de permettre à tout le monde (et non « à chacun », tournure genrée) de se reconnaître et de se projeter dans un texte. À une époque où les entreprises investissent des sommes considérables dans leur image et veillent à assurer une meilleure parité des genres sur leurs visuels, il est de bon ton — et grand temps — que les textes que nous traduisons soient à la hauteur.

« Aujourd’hui, une offre d’emploi rédigée uniquement avec un masculin générique (par exemple, informaticien recherché) pourrait être perçue comme sexiste. Un texte qui s’adresse à un lectorat mixte, ou qui concerne des hommes et des femmes, peut être rédigé de manière à ce que les deux sexes s’y trouvent équitablement représentés. » (Druide. « Rédaction inclusive ». Points de langue. Avril 2020.)

Ceci n’est pas plus une stratégie

« Dans ce texte, le masculin englobe les deux genres et est utilisé pour alléger le texte. »

Bien entendu, la foudre ne s’abattra pas sur vous si vous utilisez encore cette formule ô combien pratique (« je n’ai pas à m’embêter et puis on a toujours fait comme ça ![1] »), mais, progressivement, votre clientèle exigera de vous, spécialistes de la langue, des solutions. « En français, l’identité de genre des personnes et le genre grammatical, féminin ou masculin, sont étroitement associés. » (OQLF, Banque de dépannage linguistique)

Force est de constater que toutes les régions francophones n’en sont pas au même stade de réflexion. Le Québec a, très tôt, commencé à se pencher sérieusement sur le sujet. Il n’est donc pas surprenant de trouver une pléthore de recommandations, de guides et de suggestions linguistiques en matière de rédaction inclusive au Québec. En France, l’indifférence et la résistance des autorités linguistiques et de certaines institutions ont considérablement ralenti la créativité linguistique. Aujourd’hui, cependant, personne ne veut être en reste et la plupart des pays francophones d’Europe ont emboîté le pas au Québec, à des degrés différents.

Dans ce qui suit, je présenterai quelques stratégies toutes simples pouvant être appliquées aux textes de ressources humaines que nous traduisons de l’anglais au français, langue qui marque plus fortement le genre que l’anglais et dont l’évolution se heurte à des résistances de tous genres. Partant du principe que la traduction est une forme de rédaction contrainte, les mots « rédaction » et « rédiger » utilisés ci‑dessous engloberont automatiquement l’activité de traduction. Je précise que ce billet n’a aucune prétention à effectuer un recensement exhaustif de toutes les ressources des régions francophones évoquées.

Le Petit Robert en ligne précise que l’écriture inclusive s’efforce « d’assurer une représentation égale des hommes et des femmes dans les textes. » Aussitôt dit, aussitôt fait ? Pas si vite, pas si simple. Féminiser un texte consiste à utiliser des formes féminines en le rédigeant, ce qui peut passer par la féminisation des noms de professions (informaticien ou informaticienne, informaticien(-ne), informaticien·ne) ou par le choix de certaines formes grammaticales (tous et toutes). On reviendra sur le choix des formes à notre disposition dans quelques instants. L’écriture épicène, c’est-à-dire qui ne varie pas en fonction du genre, constitue l’une des autres stratégies pouvant être mises en œuvre. « Le nom journaliste, l’adjectif pauvre et le pronom je sont épicènes. » (Dictionnaire Usito). La prolifération récente des guides et manuels d’écriture épicène montre que cette stratégie est aujourd’hui recommandée partout et par tout le monde, car elle permet d’alléger le texte sans imposer de changement et, par conséquent, sans provoquer de résistance audit changement.

Examinons quelques stratégies de rédaction équitable, puis quelques exemples de stratégies de rédaction épicène.

Doublets

  • Les conseillers et les conseillères

Alternance de désignations à caractère dit « générique »

  • Utiliser à tour de rôle « infirmier » et « infirmière »

Accord de proximité

  • Les rédacteurs et rédactrices sont préparées.
  • Les rédactrices et rédacteurs sont préparés.

Notons au passage que l’accord de proximité est encore loin de faire l’unanimité et qu’il est encore difficile, dans le milieu de la traduction, de le proposer à sa clientèle, bien que la règle d’accord du masculin générique n’ait pas toujours existé. En effet, l’accord de proximité a été appliqué dans la langue française pendant plusieurs siècles.

L’utilisation de la troncation, encore appelée doublets abrégés, constitue une autre stratégie d’équité linguistique, dont les formes préconisées varient en fonction des sphères géographiques et des préférences personnelles. L’auteur·e de l’article « Rédaction inclusive » publié dans Points de langue en avril 2020 conseille de les réserver « à des contextes exceptionnels où l’espace manque (tableaux, formulaires) et où aucune solution de rechange n’est possible », et propose un classement des formes de troncation en fonction de leur « nuisance croissante », dont voici la distribution :

« adjoint(e)s
résident·e·s
salarié[é]s
plombier/ière/s
réviseur-euse-s
étudiantEs
lecteur.trice.s »

La troncation avec point médian, comme dans « les candidat·e·s » ou « les candidat·es » (notons que la seconde formule, avec point médian unique où la marque du pluriel est accolée à la marque du féminin, semble être aujourd’hui davantage préconisée que la première), est beaucoup utilisée en sciences sociales et dans la presse française. Les doublets abrégés, comme dans « autorisation du (de la) directeur(‑trice) » ou « signature du [de la] sauveteur[-euse] », sont préconisés par l’Office québécois de la langue française (OQLF). Le Bureau de la traduction, au Canada, déconseille fortement tout signe de troncation, position assez problématique lorsque l’on traduit un texte avec de fortes contraintes spatiales, tel qu’un formulaire, et que des doublets complets ou une tournure épicène sont impossibles. Avant d’aller plus loin, précisons que les partisans du point médian font valoir que ce signe typographique était disponible, au sens de « pas encore pris », tandis que le point traditionnel marque la fin d’une phrase, que les parenthèses indiquent un propos secondaire (connotation problématique lorsque l’objectif désiré est l’équité), que la barre oblique fait référence à la division et que le tiret est déjà utilisé pour le trait d’union (dont la connotation est cependant nettement moins problématique que les parenthèses).

Qui fait quoi ?

Au Québec, la plupart des universités publient des guides sur la féminisation et sur la rédaction inclusive. L’Office québécois de la langue française, le Bureau de la traduction et Druide, l’entreprise de services linguistiques qui est à l’origine du logiciel Antidote, mais aussi du blogue Points de langue, offrent une pléthore de ressources, dont certaines figurent dans la liste de références qui suit cet article.

En France, les multiples résistances de l’Académie française ont considérablement retardé l’entérinement de la féminisation des noms de métier. L’écriture épicène et la troncation avec point médian sont aujourd’hui préconisées par certains organismes publics, dont le Haut Conseil à l’Égalité, qui publie un guide pratique intitulé Pour une communication publique sans stéréotype de sexe. Le point médian semble être rentré dans les mœurs de certaines rédactions et l’agence de communication Mots-clés publie un Manuel d’écriture inclusive recommandé dans certaines universités françaises.

En Suisse, des efforts conséquents ont été déployés en la matière, notamment par l’Université de Genève (Guide romand d’aide à la rédaction administrative et législative épicène) et par le Canton de Vaud (« Exemples et conseils pour la rédaction épicène »).

Quelques solutions toutes simples en ressources humaines

On trouvera ci-dessous quelques suggestions de traductions neutres ou épicènes propres au domaine des ressources humaines :

Le personnel, le personnel salarié (employees)

Cadre, direction, responsable, supérieur·e, dirigeant·e (Manager/management/supervisor)

La clientèle (clients)

La main-d’œuvre (workers, workforce)

L’effectif (workforce)

Les collègues (coworkers)

Le corps enseignant (professors)

Son ou sa supérieur·e (their supervisor)

Son ou sa responsable (their supervisor)

La personne

  • La personne salariée (employee)
  • La nouvelle recrue (new employee)

La personne, cette formidable désignation

Le mot épicène « personne » constitue une stratégie d’écriture aussi simple qu’efficace, comme l’illustrent les quelques exemples qui suivent.

Droits de la personne (Droits de l’homme)

Exemples d’utilisation du mot « personne » au Québec et au Canada :

  • Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (QC)
  • Charte des droits et libertés de la personne (QC)
  • Tribunal des droits de la personne (QC)
  • Loi canadienne sur les droits de la personne (CA)

Cet extrait de la Trousse d’accueil et d’intégration en emploi des libraires publiée par le Conseil québécois des ressources humaines en culture fait une belle démonstration de la simplicité d’utilisation de l’écriture épicène en ressources humaines[2].

« On peut saisir la culture organisationnelle d’une librairie à partir du choix du fonds de livres, des livres qui sont mis en évidence, des caractéristiques des personnes sélectionnées pour y travailler, de la nature des conseils prodigués à la clientèle. »

  • Toute entreprise a avantage à définir de manière précise les conditions de travail des personnes qu’elle embauche.
  • Conseiller la clientèle sur des choix possibles de lecture et répondre à des demandes particulières. Écouter attentivement la demande formulée par la personne.
  • Soumettre à la personne responsable des achats dans la librairie la liste des livres à acheter.
  • L’employeur[3] peut effectuer une retenue sur le salaire si elle est consécutive à une loi, un règlement, une ordonnance du tribunal, une convention collective, un décret ou un régime de retraite à adhésion obligatoire. Il doit obtenir un consentement écrit de la part de la personne salariée pour toute autre retenue. »

L’utilisation de noms collectifs (clientèle, auditoire), du nom des services d’une entreprise (la direction, la comptabilité, le service du personnel) ou de mots épicènes (spécialiste, bénévole, collègue) permet de facilement dégenrer le texte. On retrouve d’ailleurs souvent ces stratégies d’écriture dans la presse de langue française, qui évoque « le milieu de la traduction », « le patronat », « la rédaction », etc.

Le Canton de Vaud, dans son excellent « Exemples et conseils pour la rédaction épicène », propose quelques trucs fort astucieux en matière de tournures non personnelles. Il s’agit ici de mettre l’accent non pas sur la personne en elle-même, mais plutôt sur son autorité, sa compétence, son activité ou son état, éléments d’ailleurs beaucoup plus pertinents que le genre en milieu de travail.

  • Date de naissance (plutôt que « Né/Née le… »).
  • Le tribunal fixe les sanctions de sorte que… (plutôt que « Le juge fixe »).
  • Les secours sont arrivés (plutôt que « Les sauveteurs… »).
  • En cas de blessure, ne pas laisser l’élève sans surveillance (plutôt que « ne pas laisser l’élève blessé seul »).

Le Manuel d’écriture inclusive de l’agence Mots-Clés illustre les possibles à partir de la déclinaison suivante :

Formulation genrée initiale :

« Merci à tous d’être à leurs côtés. »

Formulation inclusive fléchie :

« Merci à tous et à toutes d’être à leurs côtés. »

Formulations inclusives épicènes :

  • « Merci d’être à leurs côtés[4]. »
  • « Merci à vous d’être à leurs côtés. »
  • « Merci à tout le monde d’être à leurs côtés. »
  • « Merci à l’ensemble de nos collègues d’être à leurs côtés. »

Au-delà des tournures ci-dessus, assorties de degrés d’économie variables, les spécialistes de la langue que nous sommes disposent d’une autre tournure, très économique, mais nouvelle. Les personnes présentant une résistance naturelle au changement sont susceptibles de sursauter. Cependant, posons‑nous en toute honnêteté la question essentielle : qui ne comprend pas le sens de « Merci à toustes » ?

Il en va de même pour les pronoms non binaires « iel » et « iels », qui sont les formes les plus fréquemment utilisées pour traduire en français le « they » non binaire, même si quelques variations orthographiques sont parfois observées (« ielle » et « ielles »). Bien que ces pronoms n’aient fait leur apparition que tout récemment, ils se comprennent parfaitement en contexte.

Progressivement, les textes que nous traduirons en ressources humaines reflèteront une volonté d’intégration de toutes les personnes, au-delà du masculin générique et du binaire traditionnel. La langue doit suivre, y compris la nôtre, et elle suit déjà. Il suffit d’observer son usage actuel pour s’en rendre compte. Il est donc important de pouvoir être force de proposition vis-à-vis de notre clientèle. Par ailleurs, en mettant en avant cette compétence, nous nous dotons d’un atout supplémentaire de taille, qui ajoute de la valeur aux services que nous offrons.

Merci à toustes de votre attention.

[1] Oui, la terre était plate aussi pendant longtemps.

[2] Caractères gras ajoutés par l’auteure.

[3] « Employeur » est ici utilisé au sens de personne morale (entité juridique), et non de personne physique.

[4] Palme de la tournure économique.

Photo : Laurence Ibrahim Aibo

Laurence Jay-Rayon Ibrahim Aibo est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en traduction de l’Université de Montréal. Elle est traductrice agréée par l’OTTIAQ, au Québec, et interprète médicale agréée par la CCHI, aux États-Unis. Elle exerce depuis une trentaine d’années et a commencé sa carrière en Europe, puis en Afrique avant de se tourner vers les Amériques. Aujourd’hui, elle enseigne la traduction à l’école de traduction Magistrad, à Québec, et l’interprétation et la traduction à l’Université du Massachusetts Amherst. Ses domaines de spécialisation comprennent le secteur médical, les ressources humaines, les sciences humaines et sociales, la culture et le sous-titrage. Elle dirige le projet de traduction d’archives coloniales intitulé Colony in Crisis in Haitian Creole et sa première monographie, The Politics of Transaltion Sound Motif in African Fiction, est sortie en mars 2020 chez John Benjamins Publishing. Coordonnées : laurence@intofrenchtranslations.com | https://intofrenchtranslations.com/home/

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Liste de références

ARTICLES

Auteur anonyme. « La bataille de l’écriture épicène ». https://cursus.edu/articles/43843/la-bataille-de-lecriture-epicene. Thot Cursus. 7 octobre 2020.

Auteur anonyme. « Rédaction inclusive ». Points de langue. Druide. Avril 2020. https://www.druide.com/fr/enquetes/redaction-inclusive

Bruno. « Pourquoi utilise-t-on le point milieu dans l’écriture inclusive ? Le Figaro, 23 novembre 2017 https://leconjugueur.lefigaro.fr/blog/point-milieu-ecriture-inclusive/#:~:text=Le%20point%20milieu%20(aussi%20appel%C3%A9,%C3%A0%20la%20place%20des%20espaces.

Eschapasse, Baudouin. « Écriture inclusive, on caricature le débat ». Le Point, 29 octobre 2017. https://www.lepoint.fr/societe/ecriture-inclusive-on-caricature-le-debat-27-10-2017-2167914_23.php

DICTIONNAIRES SPÉCIALISÉS

James, Christopher, et Antoine Tirard. Dictionnaire des Ressources humaines : français-anglais/Dictionary of Human Resources: English-French. 4e édition. Rueil-Malmaison : Éditions Liaisons, 2009.

Ménard, Louis. Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière. Version numérique 3.1. Institut canadien des comptables agréés, 2014. [Une nouvelle version numérique sort en décembre 2020]

Peretti, Jean-Marie. Dictionnaire des Ressources humaines. 7e édition. Paris : Vuibert, 2015.

DOCUMENTS TYPES ET GUIDES DE RÉFÉRENCE EN FRANÇAIS

Agences Mots-Clés (France). Manuel d’écriture inclusive. https://www.motscles.net/ecriture-inclusive

Association Divergenres. https://divergenres.org/regles-de-grammaire-neutre-et-inclusive/

Haut Conseil à l’Égalité (France). Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe. https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/bibliographie/

Conseil québécois des ressources humaines en culture. Trousse d’accueil et d’intégration en emploi des libraires

Canton de Vaud (Suisse). « Exemples et conseils pour la rédaction épicène ». https://www.vd.ch/guide-typo3/les-principes-de-redaction/redaction-egalitaire/exemples-et-conseils-pour-la-redaction-epicene/

Université de Genève (Suisse). Guide romand d’aide à la rédaction administrative et législative épicène. https://www.unige.ch/rectorat/egalite/files/9314/0353/2716/charte_epicene_GE_ecrire_genres.pdf

LEXIQUES, GLOSSAIRES, RECOMMANDATIONS AU QUÉBEC ET AU CANADA

Office québécois de la langue française. Articles sur la féminisation et la rédaction épicène.

Office québécois de la langue française. Formation sur la rédaction épicène. (2018)

Bureau de la traduction. Recommandations sur l’écriture inclusive dans la correspondance

Bureau de la traduction. Lexique sur la diversité sexuelle et de genre : https://www.btb.termiumplus.gc.ca/publications/diversite-diversity-fra.html?fbclid=IwAR34q_vFMc4vVSngX9RxO_mYLTvmlbz3sHP78y3igMctQVjyBVJDKj-eU8w