[Transcript] ATA Continuing Education Series Podcast – Episode 15 – Translating Toponyms

ATA French Language Division Podcast
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Episode 15: Translating Toponyms

Angela Benoit: Hello and welcome to the continuing educational series, a podcast produced by the French Language division of the American Translators Association, produced as a benefit for our members and those interested in joining us. Our series strives to offer educational content about the craft of French to English and English to French translation, and about our division. I am your host, Angela Benoit.

It is my pleasure today to welcome a very special guest, André Racicot. André is a retired English to French translator, editor, terminologist, and trainer for the Translation Bureau of the Government of Canada. He focused on the translation of foreign geographical names. He’s published a List of Names for Countries, Capitals and Inhabitants in 2000 that was integrated into the style guide of the Canadian Department of Foreign Affairs. You can visit him on Twitter or contact him through his website, and we will publish the links to his Twitter account and website on the blog post that accompanies this episode. André, bonjour et bienvenue. Merci d’avoir accepté notre invitation aujourd’hui pour parler des toponymes.

André Racicot : Bonjour. Oui. Alors ma spécialité, en quelque sorte, lorsque j’ai œuvré au Bureau de la Traduction pendant presque une trentaine d’années, c’était justement de traduire les toponymes. Et j’en ai fait en quelque sorte une vocation.

Angela Benoit : Et quelle est la chose que vous avez constatée par rapport aux toponymes et à leur gestion, à leur prise en charge par les dictionnaires grand public et spécialisés pour les traducteurs que nous connaissons tous.

André Racicot : J’ai constaté assez rapidement que les dictionnaires français comportent de nombreuses insuffisances. Quand vous regardez la partie « Noms communs », habituellement, les dictionnaires essaient de vous ouvrir le chemin, d’aller au-devant des difficultés. Par exemple, « chausse-trappe », on va vous préciser qu’il y a une graphie avec un p et un autre avec un double p. Pour les noms composés, on va généralement indiquer la forme plurielle parce que les règles sont assez difficiles parfois à saisir. Mais quand vous allez dans la partie « Noms propres », et que vous cherchez des noms, d’État, de pays, de ville et tout ça, on entre dans une zone floue. On dirait que les dictionnaires ne veulent pas du tout nous aider et font en quelque sorte un service minimum. Et pourtant, on s’attendrait au même service, si on veut, du côté des noms propres.

Angela Benoit : Et pourtant, nous traducteurs, sommes amenés à chercher des toponymes parfois obscurs, peu connus, dans des endroits reculés que nous connaissons mal. Donc, est-ce que vous pouvez nous parler un petit peu plus de la façon dont nous allons approcher ce problème ?

André Racicot : Oui, c’est ça. Ce qui arrive, c’est qu’il y a des noms très, très connus, évidemment, et ceux-là ne posent pas vraiment de problème. Mais si vous cherchez le nom d’une province mexicaine, d’une région en Afghanistan ou en Suède, qu’importe, très souvent, le genre grammatical n’est pas indiqué et même s’il est indiqué, c’est sous une forme raccourcie, nom masculin, nom féminin. Et le problème, c’est que ça ne dit pas tout : loin de là. Ça laisse beaucoup de choses dans l’ambiguïté. Bien entendu, quand on parle de toponymes très connus, « le » Nicaragua ou « la » Polynésie, il n’y a aucun problème. Mais je me rappelle qu’il y a une trentaine d’années, lorsque je travaillais à Radio-Canada, on cherchait désespérément le genre grammatical d’Iran et d’Israël. Et ça ne se trouvait pas dans les dictionnaires. Et on sait très bien qu’Israël ne prend pas d’article et l’Iran en prend un. Et on trouvait ça assez aberrant que Le Larousse et Le Robert ne soient pas plus explicites à ce sujet-là. Et le fait de préciser qu’un nom est masculin ou féminin, ça règle une partie du problème. L’autre partie du problème, c’est, un, l’article. Est-ce que ça prend l’article ou pas ? Bon, tout le monde sait que pour Cuba et Haïti, ça n’en prend pas.

Mais quand on arrive à des entités plus exotiques, c’est beaucoup moins clair. Et l’autre problème, c’est une petite parenthèse, c’est le gentilé, le nom des habitants. Si vous allez voir la Grèce vous découvrez que le gentilé, c’est les Grecs, évidemment. Or la forme féminine de Grec, tout comme pour la Turquie, les Turques, elle est irrégulière. Avec Grecque, G-r-e-c-q-u-e, tandis que Turque, une Turque, T-u-r-q-u-e. Et ça pose un problème, le féminin, parce qu’il y a des formes qui ne sont pas si claires que ça. Vous avez le Kenya par exemple. Les habitants, c’est des Kényans, Kényanes. Et la question qui se pose est : « est-ce qu’on double le ‘n’ en français  ? Et là encore, ce n’est pas précisé. Il faut se reporter à la section « noms communs ». Allez voir kényan ou grec pour voir enfin la forme féminine. Alors là encore, les dictionnaires ne font rien pour nous aider. Au contraire, ils nous forcent à fouiller à gauche et à droite pour y arriver et réunir tous les renseignements. Et ça ne devrait pas du tout être comme ça.

Angela Benoit : Oui, effectivement, il faut qu’on fasse quatre recherches pour trouver un nom, un nom, ou un adjectif. On perd beaucoup de temps.

André Racicot : Perfectly, oui. Effectivement.

Angela Benoit : Parlez-moi du cas de la Grande Bretagne : on en a discuté en préparant cet épisode. C’est un cas qui illustre beaucoup de points de ce problème. Dites-nous en un petit peu plus.

André Racicot : Ouais, ben, c’est ça la Grande Bretagne, c’est un pays qui est proche de la France. Et quand on parle de traduction des toponymes, je pense qu’on pourrait y revenir tantôt, ce qu’on constate, c’est que les toponymes qui sont le plus souvent traduits sont ceux des régions proches de la France, soit des pays avec qui la France a eu des rapports rapprochés, si on veut. La Grande Bretagne, c’est un pays qui est proche de la France, c’est de l’autre côté de la Manche. Il y a eu la conquête normande en 1066, le français est devenu la langue de la couronne britannique, et il y a eu un mélange des deux langues entre la langue populaire, qui était le vieil anglais, et la langue française, ce qui fait que les deux langues ont beaucoup de points communs.

Il y a énormément de faux-amis entre l’anglais et le français, et l’anglais est une langue germanique qui est extrêmement francisée, beaucoup plus francisée que l’allemand ou le néerlandais. On a même dit que l’anglais, c’était en quelque sorte du néerlandais brodé de français. Il y a eu, on le sait, beaucoup de tensions entre la Grande Bretagne et la France. Il y a eu la guerre de 100 Ans, il y a eu une espèce d’antagonisme entre les deux. Je pense, moi, que les deux peuples français et britannique s’admirent mutuellement mais n’osent pas trop le dire. Et l’un dénigre continuellement l’autre. En tout cas, bon, finalement, il y a eu un rapprochement avec l’Entente Cordiale en 1904. Les deux pays ont lutté côte à côte contre l’Allemagne.

Pourtant, malgré cette évidente complicité historique, il y a très peu de toponymes en Grande Bretagne qui ont été traduits. Et ça, c’est assez curieux. Oui, dans les grandes villes, vous avez Londres et Edimbourg. Mais si vous cherchez dans les autres villes, Manchester, York, Birmingham, Cambridge, Oxford, il n’y a pas de traduction. Il n’y en a aucune en fait. Et en ancien français, Westminster s’appelait Ouestmoutier. Mais évidemment, ça fait très longtemps que ça a disparu. Et quand on regarde les régions, il y en a très peu. Il y a l’Angleterre, l’Écosse, Pays de Galles, la Cornouailles avec un s, et l’Irlande du Nord. Mais quand vous regardez les grandes régions, vous avez les Highlands, les Highlands, parfois appelées Hautes Terres, mais c’est très rare.

Mais le reste, le Yorkshire, le Kent, le Dorset, là encore, il n’y a pas de traduction. Et en fait, c’est plutôt l’anglais qui s’est beaucoup inspiré du français. Je l’ai dit tantôt l’anglais est une langue très, très francisée, et vous avez des appellations à Londres qui sont assez amusantes parce que, en réalité, elles viennent du français. Alors, par exemple, si vous allez dans Hyde Park, vous avez Rotten Row. C’est un non-sens, une route pourrie. À quoi ça rime ? Bien, c’est une déformation du français route du roi, tout simplement parce que Hyde Park était un domaine royal au Moyen-Âge. Vous avez Piccadilly Circus. Piccadilly, à quel mot français ça vous fait penser_00:47:28_ Pas évident ?

Angela Benoit : À la Picardie, peut-être ? Je dis ça complétement en l’air.

André Racicot : Non, des peccadilles, ma chère. Donc, c’est le rond-point des peccadilles parce qu’on vendait toutes sortes de breloques à cette époque.

Angela Benoit : D’accord…

André Racicot : Alors, Picadilly. Pardon ?

Angela Benoit : La ligne a sauté un petit peu, allez-y, je vous écoute

André Racicot : Oui, une autre appellation à Londres, vous avez Elephant and Castle. Et ça, il faut vraiment se gratter la tête. C’est une déformation de Infante de Castille. Alors là, on voit que l’anglais a été beaucoup influencé par le français. Et ce qui est assez amusant de nos jours, c’est qu’on a des mots d’ancien français qui sont passés en anglais et qui reviennent en français. Je vous donne l’exemple du tennis. Le tennis, ce n’est rien d’autre que le jeu de paume français. Donc, on peut dire en forçant un peu que les Français ont inventé le tennis. Et au jeu de paume, quand vous tendiez la balle à l’adversaire, vous disiez tout simplement « tenez. » Et tennis vient du Français tenez. Évidemment, les Britanniques ont développé le sport que l’on connaît aujourd’hui et par rebond, le mot tennis est revenu en français pour désigner un type de chaussure athlétique. Alors vous avez des mots comme ça qui ont voyagé un peu d’une langue à l’autre. ? Mais il n’en demeure pas moins, pour résumer le cas de la Grande Bretagne, qu’il y a finalement en Grande Bretagne au niveau de la toponymie, il y a très, très peu de traductions.

Angela Benoit : Intéressant. J’aurais jamais imaginé pour tennis, mais c’est finalement une petite partie de ping pong que ce mot a fait entre les deux pays.

André Racicot : C’est ça.

Angela Benoit : Passons ensuite au prochain thème, le changement d’aspect en traduisant un toponyme ?

André Racicot : Oui, oui. Le changement d’aspect, oui. Ce qui arrive, c’est qu’il y a des appellations qui sont, qui ont varié un petit peu dans leur traduction, c’est à dire qui ne sont pas tout à fait pareilles en anglais et en français. Je vous donne quelques exemples. Vous allez comprendre assez vite. Si on parle par exemple du Straight of Dover en Angleterre, on ne dirait pas le Détroit de Douvres. Il n’y aura pas une traduction intégrale de l’anglais. On ne suit pas la démarche de l’anglais. Et en français, ça s’appelle le Pas de Calais, et on voit que la façon, le référent, si on veut, en anglais, c’est évidemment Dover, Douvres, et en français, le référent devient un mot français, qui est Calais.

On voit un petit peu le même phénomène avec Bay of Biscaye, qui en français devient le Golfe de Gascogne. Alors on voit que le référent a changé. Le référent est français, tandis que, à l’origine en anglais, le référent est d’Espagne. La notion de Bay devient en français un Golfe parce qu’il y a une certaine différence en français entre une baie et un golfe. Un golfe, c’est beaucoup plus gros. En anglais, on ne semble pas faire la nuance. Un peu comme river, qui peut être un fleuve ou une rivière. On a Bay of Bengal, ça devient en français le Golfe du Bengale. Le même phénomène pour Channel of Corfou, qui devient en français le Détroit de Malte et non plus Corfou. Là, voyez non seulement un Canal; Channel ici, devient un Détroit parce qu’il ne s’agit pas d’une construction humaine, donc, on ne peut pas parler de Canal comme on parle du Canal de Suez ou du Canal de Panama. Mais ici, on aboutit à un détroit.

Angela Benoit : C’est incroyable le nombre de questions qu’on se pose, pourrait se poser ou qu’on ne se pose pas en regardant les cartes d’Europe, que pourtant ’on a tous l’habitude de consulter. Passons ensuite aux noms des pays qui changent, justement. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire à ce sujet ?

André Racicot : Ouais, c’est ça. Il y a beaucoup de noms de pays qui ont évolué et souvent c’est à cause de la décolonisation. Dans les empires français et britannique, les empires coloniaux, ce sont des [inaudible] au 20ème siècle, ce qui fait que la Rhodésie, par exemple, a adopté un nom plus authentique, si on veut, qui n’est plus d’origine britannique et s’est appelée Zimbabwe. Il y en a une autre partie qui a pris le nom de Zambie. Le Sud-Ouest Africain, bon, nom très occidental est devenu la Namibie. C’est une ancienne colonie allemande. Le Zaïre, l’ancien Congo Belge, est devenu maintenant La République Démocratique du Congo. Et ce qui est intéressant, c’est que tous ces changements d’appellation sont assimilés en français, sont acceptés. Il n’y a personne qui va se mettre à parler de La Rhodésie à la place du Zimbabwe.

Là où ça devient intéressant, c’est d’observer du côté français une certaine réticence vis à vis de nouvelles appellations. Par exemple, la Macédoine, qui est une région de Grèce mais aussi un ancien État yougoslave, a finalement adopté l’appellation Macédoine du Nord, pour ne pas fâcher les Grecs. Ça va passer sans problème dans les dictionnaires, ça va. Mais un cas patent de résistance, c’est La Biélorussie. Lors de l’effondrement de l’empire soviétique, il y a une quinzaine de républiques qui sont devenues des états souverains. Et La Biélorussie a changé son nom officiellement aux Nations Unies et s’appelle maintenant Le Bélarus, qu’on aime ça ou pas. Ce qui est assez curieux, c’est que les dictionnaires français ne semblent pas avoir pris en compte ce changement de nom. L’entrée principale est toujours Biélorussie, et ils disent en biélorusse /Bjélarus/. C’est comme ça que ça se prononce. Alors c’est assez curieux parce que l’appellation Bélarus n’est pas très, très usitée en français, alors qu’en anglais on accepte plus volontiers les changements de noms et on parle beaucoup plus souvent du Belarus en anglais. Alors il y a une espèce de résistance française devant certaines appellations qui sont traditionnelles et qu’on emploie depuis des siècles.

Et là, je vous amène en Inde : Bombay, qui s’appelle maintenant Mumbai; Calcutta, qui est devenue Kolkata; et Madras, qui est devenue Chennai. Les appellations indiquées par les Indiens, adoptés par les Indiens, et qui sont des changements de nom officiels sont reprises dans les médias anglais. Mais en français, si vous ouvrez un dictionnaire, vous avez encore l’entrée principale à Bombay, Calcutta et Madras. Et ce n’est que récemment que j’ai pu observer dans la presse française, et ça englobe la francophonie, aussi bien le Canada que l’Europe ou l’Afrique, que le terme Mumbai semblait se glisser peu à peu dans les textes français. Alors qu’il s’agit bel et bien d’un changement de nom officiel. Alors ça, c’est un phénomène qui est assez curieux où on voit qu’il y a peut-être un certain traditionalisme en français. On abandonne moins volontiers certaines appellations qu’on est habitué de voir, même si le nom officiel d’un État ou d’une ville a changé.

Angela Benoit : Et vous dîtes, juste pour la petite, juste pour faire l’essai pendant que vous nous présentiez le cas de la Biélorussie, ou de Bélarus, et de Bombay ou Mumbai. J’ai pris la liberté de taper rapidement Larousse et Bombay, Mumbai pour voir ce qu’il en sortait sur internet. Eh bien, je vais vous lire la définition.

André Racicot : Oui.

Angela Benoit : C’est L’Encyclopédie Larousse, qui nous dit ça. Depuis 1976, son nom officiel en langue marathi.

André Racicot : Oui.

Angela Benoit : Je ne sais même pas comment le prononcer, est Mumbai, mais la ville est encore souvent désignée sous son ancien nom de Bombay. Donc, même Le Larousse essaye de faire perdurer l’ancien nom. C’est à se demander pourquoi. J’avoue que je ne m’étais jamais posé la question, mais il faudrait effectivement qu’on se mette à utiliser Mumbai comme tout le monde.

André Racicot : Oui, pour ce qui est du Larousse, je tiens à dire que c’est peut-être le dictionnaire le plus fiable pour l’exactitude des graphies, les bonnes appellations et Le Larousse, généralement, reflète assez bien ce qui se dit dans la francophonie quant aux graphies et aux termes employés. Donc, vous voyez que Le Larousse hésite encore à abandonner Bombay.

Angela Benoit : Oui, et pour le cas précédent, effectivement, l’entrée est sous le nom de Biélorussie.

André Racicot : Hum. Ouais, ça ne me surprend pas du tout. Je ne pense pas que ça va changer demain matin.

Angela Benoit : Et sur cette fiche lui-même, on ne fait même pas mention des deux noms, c’est à dire qu’il précise seulement qu’en Biélorussie et en russe, Bélarus, anciennement Russie Blanche, mais rien de plus. On ne fait pas mention du dit nouveau nom.

André Racicot : Non, c’est incroyable et ça fait quand même depuis 1991, je pense, que le Bélarus a adopté ce nom-là. Et encore, une génération plus tard, on s’en tient à la Biélorussie.

Angela Benoit : Oui, c’est dingue ça. Et bien passons au sujet suivant : l’attribution d’un genre grammatical à des toponymes non traduits. Je vous avoue que c’est un problème auquel j’ai été souvent confrontée parce que j’ai fait beaucoup de traductions dans le tourisme et l’hôtellerie. On parle beaucoup de grandes villes, de petites villes, de petits villages, de petites régions. Et la question du genre grammatical se pose systématiquement.

André Racicot : Oui, j’ai peut-être deux exemples à vous donner. Il y a cette région du Mexique qu’on appelait le Chiapas, qui a été, qui a défrayé les manchettes il y a déjà un bon bout de temps. Quand vous regardiez dans les éditions antérieures des dictionnaires, il n’y avait aucun genre grammatical. Donc, on était laissé dans le vide. Est-ce qu’il faut dire le Chiapas, la Chiapas, est-ce qu’on met un article, est-ce qu’on n’en met pas ? Là encore, le lecteur francophone était dans le flou. Depuis lors, les dictionnaires sont devenus un peu plus précis et on vous indique généreusement maintenant que c’est un nom masculin. Mais encore là, la question de l’article se pose. Et justement, j’ai consulté Le Robert et Le Larousse hier. Et il faut aller dans le corps du texte pour arriver à trouver si effectivement on dit le Chiapas, et dans un paragraphe, on voit qu’on dit le Chiapas. Et ça me ramène à la situation dont je parlais tantôt, de se battre avec ces dictionnaires.

Je vous donne un autre exemple comme ça. Vous avez Bahreïn, qui est un émirat, Bahreïn, on a dit que c’était un nom masculin et on entend souvent le Bahreïn, or Bahreïn ne prend pas d’article, mais ce n’est pas indiqué dans les dictionnaires. Et là encore, comme Chiapas, il faut aller dans le corps du texte pour trouver un endroit où on va dire « Bahreïn est situé à l’est de la péninsule arabique ». Et l’autre problème que ça amène, le fait de ne pas préciser si on met l’article ou pas, c’est que ça a des répercussions sur devinez quoi ? Les prépositions !. Alors, si je vous dis Bahreïn, qu’est-ce qu’on dit, à Bahreïn, au Bahreïn ou en Bahreïn  ? Et vous hésitez probablement, comme tout le monde, parce que ce n’est pas clair.

Angela Benoit : Et j’ai une pensée émue pour nos collègues qui sont interprètes et qui doivent décider dans l’instant sans pouvoir consulter un dictionnaire, sans pouvoir se retourner et demander à un collègue, [??], du coup parce que j’ai hésité et parce qu’on est en train d’enregistrer un épisode, je ne saurai quoi vous répondre.

André Racicot : Eh bien voilà, voilà. Si je vous avais dit Guatemala, vous m’auriez répondu tout de suite au Guatemala, si je vous avais dit la Tasmanie, vous m’auriez dit en Tasmanie. Mais voilà, avec Bahreïn, comme il n’y a pas d’article, on hésite. Et même pour des toponymes connus, comme Cuba, on dit à Cuba, mais quand vous arrivez à Haïti, est-ce qu’on dit à Haïti ou en Haïti ? Et là, c’est un autre problème, on n’est pas sûr et il n’y a pas un dictionnaire qui va vous donner la solution. Et en fait, les Haïtiens disent en Haïti. Pourquoi ? Parce que c’est un h qui n’est pas aspiré. Et à ce moment-là on a tendance à faire la liaison. Mais ce n’est pas évident. C’est pas écrit nulle part. Alors, ce qui n’est pas clair pour Bahreïn, ce qui n’est pas clair pour d’autres toponymes, vous imaginez bien que, quand vous abordez des régions inconnues et qu’on ne précise pas le genre grammatical, la tendance lourde que j’ai pu observer, c’est de mettre le masculin.

Prenons par exemple une région de Suède, le Småland, le dictionnaire, je pense, nous dit que c’est un nom masculin. Mais notre tendance naturelle, c’est de mettre un article, tout simplement. On est porté à ne pas mettre d’article quand il s’agit du nom du Nil par exemple, ce qui est justement le cas de Cuba. En ce moment-là, on ne met pas d’article. Mais là encore, ce n’est pas clair, clair dans les dictionnaires. Allez-vous perdre dans Le Grevisse pour essayer de trouver des règles et Grevisse va observer une certaine tendance pour telle chose, une tendance contraire pour autre chose. Et cela, on est un peu laissé dans l’expectative. Alors là encore, même Le Grevisse ne vient pas vraiment régler la question. En fait, ce n’est pas clair du tout.

Angela Benoit : Ça ne nous facilite pas la vie tout ça. Passons ensuite à la translittération des toponymes venant de langues ne s’écrivant pas en caractères romains. Nous avons notamment parlé, pendant la préparation de cet épisode, du russe ?

André Racicot : Oui bon, la translittération c’est un terme un peu scientifique et probablement que ça ne dit pas grand-chose au lecteur, à moins justement de s’être mesuré à la langue russe, si je peux parler ainsi. La translittération, qu’est-ce que c’est ? En clair, c’est qu’il y a beaucoup de langues qui ne s’écrivent pas en caractères latins. Il y a divers alphabets dans le monde. Le russe a adopté l’alphabet cyrillique et il y a le géorgien, le thaï, le coréen qui ont des alphabets distincts. Le problème, c’est que les noms russes…

Angela Benoit : [inaudible].

André Racicot : Oui.

Angela Benoit : Il faut bien, pourtant, il faut bien qu’on puisse en parler en français de ces endroits. Il faut qu’on puisse les écrire aussi.

André Racicot : Ben c’est justement ça. Alors si vous parlez, c’est parti de la langue russe, évidemment. C’est écrit en cyrillique. Il faut donc écrire des noms russes en français, en anglais, en polonais, en hongrois, et ainsi de suite, en alphabet latin. Et l’exemple le plus évident que je puis vous donner, et qui montre qu’on ne transcrit pas les sons de la même façon d’une langue à l’autre, c’est le cas de Vladimir Poutine. Qui est un cas éclatant, si je peux dire, parce que si vous lisez la presse française, vous allez lire P-o-u-t-i-n-e, ça se dit /Poutine/. On reproduit le son russe, /Poutine/. Mais quand vous arrivez en anglais, si vous lisez la presse anglaise, vous allez être un peu surpris de lire P-u-t-i-n. Alors on voit tout de suite qu’on ne peut pas prendre la graphie à l’anglaise de Poutine et la mettre dans un texte français, on aurait Putin. C’est un cas…

Angela Benoit : C’est un peu gênant.

André Racicot : C’est un peu gênant, oui. Peut-être qu’on aurait une note diplomatique de l’Ambassade de Russie. Mais bon, ce phénomène-là ne touche pas uniquement le président russe. En fait, tous les noms russes s’écrivent d’une manière différente en anglais, en français, en allemand parce que les sons ne sont pas transcrits de la même manière. Je vais me concentrer sur trois sons, le son /ch/, le son /tch/ et le /j/ français. Le son /ch/, si vous avez Chostakovitch, vous allez dans—chez un disquaire francophone et dans l’ordre alphabétique il sera à la lettre C, C-h-o, parce le son /ch/ en français s’écrit c-h-o. Mais si vous allez chez un disquaire anglais, il sera à la lettre H,  parce que le son /ch/ c’écrit sh, ce qui veut dire que Chostakovitch en français et en anglais, ce qui n’est pas tout à fait de la même façon, et le son /tch/ à la fin sera écrit t-c-h en français et c-h en anglais. Et ça c’est un cas qui est assez flagrant. Et ça touche aussi les écrivains, les personnalités. Tolstoï va s’écrire o-ï en français, mais pas o-y comme en anglais parce que, en français, on lirait /Tolstoi/. De la même manière, Dostoïevski, Pouchkine, P-o-u-c-h-k-i-n-e en français, mais en anglais est P-u-s-h-k-i-n. Le e muet en français évite de dire /Pouchkin/ comme on écrit Lénine, Staline et ainsi de suite. Ce qui veut dire finalement que le russe, mais aussi l’ukrainien, le biélorusse et tout ça, et l’ensemble des langues de l’ancien empire de Russie, et plus tard de l’empire soviétique, par tradition, en français, on va les translittérer selon une graphie française. Ce qui veut dire que, ce que vous lisez dans un journal anglais, ce n’est pas écrit de la même façon que dans un journal français.

Pour les traducteurs, ça pose un sacré problème. En Europe, on est très, très conscient de cette question-là. Il y a une tradition francophile en Russie qui fait que, en français, on a toujours mis un certain soin à écrire leurs noms, les noms russes, correctement en français. Mais au Canada français, c’est une problématique qui est largement ignorée. Les rédacteurs, les journalistes ne semblent pas du tout conscients du phénomène, ce qui fait que, bien sûr, ils vont écrire Poutine correctement pour ne pas se ridiculiser. Mais quand c’est des noms plus obscurs, un général russe ou bon un porte-parole de l’ambassade, ils vont souvent reprendre la graphie anglaise sans se poser de questions. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Radio-Canada il y a quelques jours avec le président ukrainien Porochenko, qu’on écrit avec un sh à Radio-Canada au lieu d’un ch. C’est des erreurs qui sont très courantes au Canada, mais en France par exemple, ce n’est pas une chose qu’on va faire. Ce n’est pas le genre d’erreur qu’on va commettre, tout simplement.

Alors pour les traducteurs, ça devient compliqué parce qu’on traduit de l’anglais au français. Et ce qui arrive, c’est que les traducteurs vont lire des noms russes écrits à l’anglaise, et il va falloir les retransformer de façon à ce qu’ils aient une graphie française. Or, il n’existe aucun moyen d’y parvenir, sauf une table de translittération que j’ai créée quand j’étais au ministère des Affaires Étrangères du Canada. Et cette table-là part d’une graphie anglaise d’un nom russe et la transforme en graphie française. Cette table-là se trouve maintenant dans le guide du rédacteur de l’administration fédérale au Canada. Et c’est le seul outil, à ce que je sache, qui permette de faire cette conversion. Parce qu’autrement, si vous cherchez des documentations sur la langue russe, on va vous montrer comment Pouchkine s’écrit en cyrillique et comment on doit l’écrire en français. Mais nous, on ne part pas du cyrillique, on part d’une graphie anglaise. C’est un problème très particulier.

Angela Benoit : Oui, effectivement. Passons du russe, passons au cas particulier du chinois, qui présente lui aussi des difficultés auxquelles les traducteurs francophones vont devoir se confronter…

André Racicot : Oui, le chinois, c’est un cas très, très particulier. On sait que c’est une langue écrite, en idéogrammes, donc c’est pas du tout des caractères latins. Pendant longtemps, il y a eu un système de translittération qui s’appelait le Wade-Giles et qui aboutissait en français à certaines graphies et à d’autres graphies en anglais. De sorte que les noms chinois, un peu comme le russe, s’écrivaient de manière différente, que ce soit en anglais, en français, en allemand ou dans d’autres langues à caractères latins. Au début des années 70, je pense que c’est en ’72, les Chinois ont décidé d’adopter le système de transcription pinyin, qui uniformise les graphies dans les langues occidentales, ce qui signifie que dorénavant, par exemple, Mao Tsé Toung doit s’écrire exactement de la même manière en allemand, en français ou en anglais. C’est ce qui fait que le nom du président chinois Xi Jinping s’écrit de la même façon dans toutes les langues.

Évidemment, ça va faciliter la vie des rédacteurs occidentaux, mais ça va entraîner des transformations assez spectaculaires de noms très connus. Et ici, on ne parle pas uniquement des noms de lieux. Vous avez le fameux Pékin, Beijing, qui est apparu justement à cette époque-là. Et on pourrait presque parler d’antagonisme chez les francophones parce que là encore, c’est le même phénomène qu’avec Mumbai ou la Biélorussie. Les francophones ont gardé l’appellation Pékin, alors que du côté anglophone, on a adopté Beijing. Et ce n’est pas une faute en soi de parler de Beijing en français, c’est le nom de la ville, mais là encore, c’est une appellation qui s’étend sur des siècles. Pékin, on veut la conserver. La ville de Nankin devenue Nanjing, et Canton, méconnaissable, qui s’écrit maintenant G-u-a-n-g-z-h-o-u, ça se prononce probablement quelque chose comme /Guanjou/ ou /Guanzou/, je ne sais pas trop. Mais toujours est-il que cette graphie-là a changé, et encore une fois dans les dictionnaires français, les entrées sont toujours à Pékin, Nankin, et Canton.

Ce n’est pas uniquement les toponymes qui sont affectés par ça. Les noms de célébrités, les noms de personnes ont vu leur graphie changer de façon assez radicale : Mao Tsé Toung, qui s’écrivait en trois mots en français, s’écrit maintenant deux mots, et Mao s’étaient toujours de la même façon, mais le Tsé Toung est devenu Z-e-d-o-n-g. Donc moi je lis /Zedong/. Le philosophe Lao Tsu en deux mots devient Laozi, L-a-o-z-i. Et là, le problème aussi, c’est que c’est la prononciation. Je me suis adressé à un spécialiste quand j’étais aux Affaires Étrangères. Il me disait que finalement, les graphies du pinyin ne sont pas vraiment phonétiques, que des lettres peuvent changer de prononciation selon qu’elles sont précédées par une lettre ou une autre. C’est un petit peu comme le français avec le s qui devient z entre deux voyelles. Ces graphies-là finalement sont assez déroutantes, et il faut savoir exactement comment les prononcer. Donc, oui, uniformisation des graphies,  c’est plus sain. Mais pour ce qui est de la prononciation, ça demeure toujours aussi mystérieux malheureusement. Et le chinois ? C’est un cas particulier parce que les autres langues asiatiques, le japonais, par exemple, le thaï, on a tendance à translittérer vers l’anglais.

La translittération ce n’est pas une loi universelle, on l’applique surtout pour les pays de l’ancien empire soviétique. Mais quand on a des noms au Pakistan, en Inde et tout ça, la tendance lourde, c’est de translittérer vers le français. Et même certains noms russes n’y échappent pas. Les vedettes de sport, par exemple, comme Maria Sharapova, si elle avait joué au tennis dans les années 30 ou 40, en France on aurait écrit C-h-a-r-a-p-o-v-a. Or aujourd’hui on l’écrit avec le Sh, qui est évidemment une translittération vers l’anglais. Et vous avez un autre joueur de tennis, Andreï Roublev, écrit à l’anglaise, Andrey, c’est d-r-e-y. Et en français, ça devrait normalement être d-r-e-ï; et Roublev, R-o-u-b-l-e-v, on écrit R-u-b-l-e-v. Alors on voit déjà qu’il y a des petits accrocs comme ça dans le monde du sport. Bon, le cas le plus aberrant, puisqu’on peut poursuivre un peu sur la translittération des noms, c’est évidemment Benjamin Netanyahu. Alors je suppose…

Angela Benoit : Oui, effectivement.

André Racicot : Oui. Alors je suppose que vous l’avez entendu couramment. Benjamin Netanyahu, c’est ce qu’on lit dans beaucoup de journaux, et ce qui est assez curieux, selon les sources que vous lisez, son nom parfois devient Benyamin. Dans Le Petit Larousse, on écrit bel et bien Benyamin. Comment ça se fait qu’on épelle Benjamin ? Alors, c’est un autre cas et c’est peut-être le cas ici le plus aberrant, le Premier Ministre israélien, normalement son nom devrait être translittéré, donc Benyamin parce que c’est comme ça qu’il s’appelle, et Le Larousse donne justement cette graphie-là. Comment ça se fait qu’on écrit Benjamin partout ? C’est parce que Monsieur Netanyahu a étudié aux États-Unis et probablement qu’il a simplifié son nom. Il en avait marre de l’épeler et on aboutit à Benjamin et non pas à une translittération, mais bel et bien à une traduction. Et ça, ça ne se fait pas. On ne traduit pas les prénoms ni les noms de famille des personnalités. Par exemple, Albert Einstein, je ne dirai jamais Albert la Pierre. La chancelière allemande qui porte le très joli nom de Angela, personne ne va l’appeler Angèle Merquel par exemple. Alors comment ça se fait qu’on traduit le nom de Netanyahu ? C’est une aberration. Et comme si cela ne suffisait pas, pour en rajouter, Netanyahu est orthographié de différentes façons, parfois avec le n-é, parfois avec le y-a-h-o-u, donc translittération à la française. Et parfois, c’est une graphie anglaise sans accent aigu, y-a-h-u, qui se prononce /Netanyahu/ en anglais, alors c’est un cas assez déroutant.

Angela Benoit : Effectivement. Et juste pour illustrer votre propos, j’ai essayé de trouver des exemples sur internet pendant que vous expliquiez ce cas, et je vous avoue que c’est un petit peu le bazar. On a un accent du côté du [journal] Monde, ou on ne l’a pas du côté de—qu’est-ce que j’ai fait là—on ne l’a pas du côté de Wikipédia, enfin personne n’arrive à se mettre d’accord, que ce soit au sein de l’Hexagone ou de la Francophonie de manière générale. Passons…

André Racicot : Ben, si vous permettez une petite remarque là-dessus, c’est qu’internet, évidemment, ce n’est pas une source qui est très fiable lorsque tout le monde écrit n’importe quoi. Alors quand vous cherchez une graphie exacte, il faut regarder très exactement quelle est la source parce qu’autrement… Ce qui s’écrit dans Wikipédia, n’importe qui écrit dans Wikipédia, et ce ne sont pas toujours des graphies très fiables. Il y a des fautes de grammaire. Je peux vous donner un exemplaire très très rapide du mur des Lamentations à Jérusalem. Pour ce qui est des majuscules, le français a des règles particulières pour les majuscules, et dans ce cas-ci, il faudrait mettre Lamentations avec la majuscule et mur en minuscule. Si vous cherchez dans internet, vous allez voir toutes les combinaisons possibles : deux majuscules à Mur et à Lamentations; pas de majuscules du tout; majuscule à Mur, minuscule a lamentations. Alors lancer une recherche dans internet, c’est comme regarder dans Paris-Match ou dans la presse populaire, voir comment on écrit tel mot en disant, « Ah oui, tiens bon, celui qui sort gagnant cette semaine, c’est telle graphie. Je vais prendre celle-là, ça doit sûrement être la meilleure », ça veut absolument rien dire. C’est pas fiable.

Angela Benoit : Oui. C’est vrai, c’est vrai. Je continue de regarder d’autres liens. On a vraiment de tout. Que ce soit du côté de la presse française, belge ou canadienne, on a vraiment toutes les graphies que vous avez présentées, comme quoi prendre une décision quand on est traducteur et qu’on est devant ces noms de personnalités, c’est vraiment quelque chose de compliqué.

André Racicot : Effectivement.

Angela Benoit : : Notre dernier sujet pour aujourd’hui, c’est le pluriel des toponymes, avec ou sans s. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire à ce sujet et comment est-ce qu’un traducteur peut tenter de commencer à réfléchir à ce problème ?

André Racicot : Je n’ai pas compris la question. Voulez-vous répéter  ?

Angela Benoit : Pardon c’est les toponymes avec ou sans s, le pluriel. C’est le dernier sujet qu’on avait choisi aujourd’hui.

André Racicot : Oui, le pluriel. C’est un problème assez épineux. Ça renvoie au fait que les règles de grammaire en français ne sont pas toujours très claires, et qu’elles ne sont pas appliquées uniformément. Que vous avez des bons auteurs qui vont choisir une graphie, d’autres auteurs vont plutôt choisir telle graphie et que très, très, très souvent, les grammairiens eux-mêmes ne sont pas capables de faire l’unanimité sur une question. Le pluriel des toponymes, c’est justement un cas patent. Et celui qui me vient tout de suite à l’esprit, c’est les Amériques. Il y a un changement d’appellation ici qui est assez intéressant, et donc je pense qu’il vaut la peine d’en parler. Jadis, on disait l’Amérique. L’Amérique, c’était clairement un continent. Et l’appellation, les Amériques, est apparue en français depuis quelques décennies sous l’influence de l’Américain. Pourquoi ? Parce que les Américains appellent leur pays America. C’est une forme raccourcie du United States of America et le terme Amérique, pour désigner les États-Unis, est devenu de plus en plus utilisé en français. Bon, ça date pas d’aujourd’hui, on peut penser à Tocqueville, de la Démocratie en Amérique, et il ne parlait pas du continent, il parlait des États Unis. Toujours est-il que, comme disait Gabriel García Márquez, vous, les Américains, votre pays n’a pas de nom : les États-Unis de quoi ? Qu’est-ce que vous êtes, vous êtes [inaudible] ? Toujours est-il qu’abusivement on a transformé le mot Amérique pour désigner les États Unis, un peu comme si, pour l’Europe, on appelait les Allemands, « les Européens ». Je ne pense pas que les Européens seraient très contents, mais c’est ce qui s’est passé en Amérique.

Alors l’appellation « les Amériques » s’écrit tout naturellement avec un s. Je dis tout naturellement parce qu’il y a une certaine logique. On écrivait les Flandres avec un s, par exemple. Mais quand on veut ajouter un pluriel à d’autres toponymes, on avait les Allemagnes. Aujourd’hui, on a les Corées et les Irlandes. Il y a une certaine logique qui prêche en faveur d’un s au pluriel. L’ennui, c’est que les grammairiens ne s’entendent pas à ce sujet-là. Beaucoup condamnent le s en disant c’est un nom propre et on n’a pas d’affaire à mettre un s.

Ça se défend en partie. Si vous prenez le nom des dynasties, vous allez vous rendre compte que très souvent, on va mettre un s, comme « des Bourbons ». Je pense qu’on met un s par exemple. Alors pourquoi on n’en mettrait pas à Corée ? La question reste à poser. Et là encore, le traducteur est obligé de regarder, de fouiller dans les dictionnaires, dans des ouvrages de difficultés de la langue pour constater, soit qu’on est catégorique d’un côté ou de l’autre et que les ouvrages se contredisent, soit qu’on va faire des nuances. Certains auteurs disent ceci, d’autres font cela et ainsi de suite. Et Le Grevisse est plein de cas comme ça, où des règles de grammaire qui apparaissent bétonnées finalement sont battues en brèche par des membres de l’Académie française qui, dans leurs livres parfois ont même fait des fautes d’accord de participe passé. C’est incroyable ! Alors ça montre que tout ça n’est pas si solide qu’on peut le croire.

Quand on arrive avec les villes, quand on parle des villes, là, c’est beaucoup plus clair, on ne met pas de s. On peut dire par exemple que Jérusalem est divisée en quatre quartiers principaux. On pourrait dire les quatre Jérusalem. On ne mettra pas de s. Jadis, il y avait deux Berlin. On n’a pas mis de s non plus. Alors tout ça reflète une certaine incohérence du français. Et on pense que les règles sont très, très claires. Mais très souvent l’usage, lui, fluctue et c’est très déroutant pour la personne qui traduit, parce qu’elle doit prendre une décision assez rapidement, n’a pas le temps de compulser les encyclopédies, les dictionnaires à n’en plus finir, et que malheureusement, souvent, c’est un peu des choix personnels qu’on finit par faire dans ces cas-là. Personnellement, moi j’écris les noms propres avec des s. Quand je lis les deux Corées, je mets un s et c’est comme ça. Et je suis sûr qu’il y a des gens qui ne seraient pas d’accord avec moi là. Alors souvent le traducteur, il est forcé de faire certains choix qui pourraient être contestés par son réviseur, par le client qui n’aime pas telle graphie et ainsi de suite… Et souvent un client qui en sait beaucoup moins que lui sur la question de la langue.

Alors, tout ça pour dire qu’il est important d’avoir des sources qui sont très fiables. Au risque de me répéter, je pense que Le Larousse donne un bon aperçu de l’usage en français. Il a des graphies beaucoup plus exactes pour les noms étrangers que Le Petit Robert, qui a parfois des graphies un peu déroutantes. Mais quand on va dans internet, c’est [important] d’aller sur des sites qui sont crédibles, par exemple, mon blog, ça peut une très bonne source pour ce genre de problèmes.

Angela Benoit : Des problèmes qui, je pense, ne finiront pas de poser des questions, des difficultés, des interrogations pour les traducteurs. Mais en tout cas,  cet aperçu très, très riche que vous venez de nous donner, je pense, donne à notre public, à nos auditeurs, des pistes pour commencer à se poser plus de questions sur les toponymes, à se demander comment est-ce qu’on les traduit, où trouver les informations et les réponses à leurs questions. Et sur ce, à propos de cela, j’aimerais revenir sur votre, alors je n’ai que le mot anglais, je ne sais pas si vous l’avez traduit, mais la List of names for countries, capitals and inhabitants.

André Racicot : Oui. Oui

Angela Benoit : Si nos auditeurs veulent la consulter, où peuvent-ils la trouver ?

André Racicot : Oui, c’est la Liste des noms de pays, de capitales et d’habitants. Elle est bilingue, évidemment, et elle a été éditée par le gouvernement du Canada en l’an 2000 et elle a été reprise par le ministère des Affaires Étrangères du Canada. On peut la consulter en allant tout simplement faire des recherches dans la base de données Termium, du gouvernement fédéral. C’est très facile à trouver sur Internet. Vous cherchez un nom de pays, un nom de région et vous allez avoir le contenu de la liste, qui contient des prépositions, qui précise si on met l’article ou pas. Quand il y a élision de l’article, par exemple Afghanistan, on va préciser que c’est « nom masculin », et il n’y a aucun dictionnaire qui vous donne les prépositions comme je l’ai dit tantôt. Et il y a des appellations que l’on voit parfois dans la presse française, la République Tchèque par exemple et le Centrafrique. Il n’y a pas d’entrées dans les dictionnaires, c’est incroyable. Ce sont des surnoms, mais ils sont employés régulièrement. Alors vous devez savoir que la Tchéquie, c’est la République Tchèque et que le Centrafrique, c’est la République Centrafricaine. Dans cette liste-là, il y a des renvois vers les appellations plus officielles, évidemment.

Angela Benoit : Eh bien, juste pour s’amuser, j’ai tapé très rapidement Mumbai dans Termium et contrairement au Larousse, j’imagine que vous savez avant même que je dise quoi que ce soit, comment est organisée la fiche, à votre avis, qu’est-ce qui sort quand je tape Mumbai dans Termium ?

André Racicot : Oui, c’est ça [inaudible]. Dans Termium, justement, on a intégré un certain nombre de renseignements, un certain nombre de recherches, mais il y a aussi des terminologues qui ont alimenté cette liste-là. Souvent, les terminologues ont une approche assez rigoureuse en disant, bon,  qu’est-ce qu’on dit officiellement ? Qu’est-ce que j’ai vu à gauche et à droite ? Personnellement, je pense qu’on devrait dire Mumbai, puisque c’est comme ça que la ville s’appelle. Alors, j’ai fait un autre ouvrage qui s’appelait Le Lexique des noms géographiques, qui malheureusement n’a jamais été édité, mais qui comprend 5 000 entrées de toponymes qui se traduit de l’anglais au français. Cette base-là, ce lexique-là, il a été en grande partie intégré dans Termium. Alors, pour des appellations plus ésotériques, on peut trouver également des informations dans Termium.

Angela Benoit : Et là, vu que je l’ai sous les yeux,  la fiche Mumbai de Termium précise et est beaucoup plus conforme à la réalité. Elle précise que Mumbai est le nom correcte et officiel, que Bombay est une ancienne désignation et que malheureusement…. puisque, qu’est-ce qui s’est passé là ? « Bombay : nom remplacé par «Mumbai» en 1995; par contre, le nom «Mumbai» est encore fréquemment utilisé en français »». J’aurais cru qu’ils disent le contraire. Mais bon, il est justement beaucoup plus proche de la réalité, en fait.

André Racicot : Oui, c’est ça.

Angela Benoit : Cet exercice de comparaison que je voulais faire avec Le Larousse, vu qu’on en avait parlé tout à l’heure.

André Racicot : Oui, l’ensemble des recherches que j’ai faites sur les toponymes, souvent ça décrivait un peu la réalité, et je pense que c’est dans cet esprit-là qu’il faut faire des recherches. Dans mon blog, justement, je traite de ce genre de questions, de traductions, de toponymes, le fait que beaucoup de noms de villes, par exemple aux États-Unis, ont été défrancisés. Par exemple, des villes comme Détroit portaient l’accent aigu dans Le Larousse 1934 de ma mère. Aujourd’hui, il y a plus d’accent aigu, et Le Larousse, il y a quelques années, a rétabli les graphies françaises de villes bel et bien fondées par des Français comme Bâton-Rouge, par exemple; Saint-Louis, on écrit maintenant dans Le Larousse avec le trait d’union; Bâton-Rouge qui a reçu son accent circonflexe et le trait d’union alors que ces graphies-là avaient disparu des ouvrages français, ce qui est vraiment triste parce que ce sont des appellations françaises. Et même New York, qui est anglais, oui, portait un trait d’union jadis et n’en prend plus. Et cette anglicisation, elle touche aussi bien d’autres toponymes. Par exemple, on écrivait Nouvelle Dehli dans le Larousse de ma mère.

Aujourd’hui, on dit New Delhi. La ville de Vilnius était i-o-u-s. Dans la graphie francisée aujourd’hui, ça s’écrit Vilnius, et il y a beaucoup d’autres appellations comme ça. Et dans les recherches que j’ai faites, je fais des liens avec des anciennes graphies françaises. Alors tout ça peut être trouvé dans internet, tout le fruit de mes recherches et également dans mon blog. Et ceux qui choisiront de me suivre dans Twitter c’est aussi le genre de problème dont je traite, et avec des références aux derniers articles publiés dans mon blog. Alors ça permet de suivre facilement mes réflexions sur la langue française.

Angela Benoit : Et on précisera les liens de votre blog et de votre compte Twitter dans la publication qui accompagnera cet épisode d’ailleurs. C’est sur Twitter que nous nous sommes rencontrés, un outil que je trouve fantastique pour les traducteurs. On trouve plein de trucs et de conseils, d’astuces, de questions, d’interrogations qu’on se pose, on essaie de s’entraider et de trouver des réponses. Et je suis vraiment ravie d’avoir fait votre connaissance sur cette plateforme et d’avoir pu enregistrer avec vous cet épisode aujourd’hui.

André Racicot : Mais je vous remercie beaucoup de m’avoir invité. Ça a été un plaisir et un honneur de participer à cette conversation.

Angela Benoit : Merci beaucoup, André.

André Racicot : Au revoir.

André Racicot : J’ai la petite conclusion à faire, j’ai oublié de vous prévenir, la conclusion.

André Racicot : D’accord.

Angela Benoit : De la FLD, parlons en langue anglaise parce que nous sommes rattachés à la American Translators Association.

André Racicot : Bien sûr, bien sûr.

Angela Benoit : Donc, nous allons conclure en disant que this podcast is produced by the French Language Division of the American Translators Association. Our current Administrator is Jenn Mercer. Our Current Assistant Administrator is Andie Ho. You can subscribe to the continuing education series podcast on Soundcloud at Soundcloud.com/ATA/FLD or on iTunes by searching for the words continuing education series in the iTunes Store. You can contact the FLD at dividisionfld@atanet.org or you may visit our website at www.ata/divisions.org/FLD, and make sure to capitalize those three letters at the end, FLD. You may also get in touch with us on social media. This is Angela Benoit, signing off. Thank you for listening. À bientôt.

Angela Benoit is an interpreter and translator based in Ottawa, Canada. You can find her on her website, LinkedIn, and on Twitter.

André Racicot is a retired English to French translator, editor, terminologist, and trainer from the Translation Bureau of the Government of Canada. He holds a master’s degree in political science and a certificate in German studies. He focused on translation of foreign geographical names. He published a List of Names for Countries, Capitals and Inhabitants in 2000. This list was integrated into the style guide of the Canadian Department of Foreign Affairs. You can find him on Twitter at @AndrRacicot or contact him through his website.

Transcribed by Charlotte Schwennsen and edited by Anne Vincent.

Le français est-il une langue libre ?

Où je démontre que l’on peut être une traductrice indépendante depuis 20 ans ET posséder une DeLorean virtuelle. Cet exposé vous emmène voyager dans le passé. Pour tenter de répondre à la question du titre, nous allons interroger une dizaine de personnalités historiques et contemporaines offrant divers points de vue. Et en fin de voyage, nous accueillerons deux invités surprise.

The A Propos Logo

Par Isabelle Meurville

Nous allons programmer la DeLorean sur votre année de cours élémentaire deuxième année (CE2), lorsque vous aviez 7 ou 8 ans. Vous savez l’année du_00:46:29_ sourire édenté ? Parce qu’en France, c’est en CE2 que les enfants apprennent que le masculin l’emporte sur le féminin, c’est-à-dire que l’on nomme au masculin les groupes mixtes, composés de femmes et d’hommes. Et à ce moment-là souvent, dans la classe, jaillit une série de questions : « Mais même s’il y a un milliard de femmes et un seul homme, on doit dire “ils” ?! » et le couperet de la réponse tombe. « Oui ! Même s’il y a un milliard de femmes et un seul homme, on doit dire “ils”. »

Une fillette aux cheveux bruns lit un livre par terre avec un énoncé qui explique pour le masculin emporte toujours sur le féminin en français

Quand ma fille est rentrée à la maison avec cette question du chat qui l’emporte sur les petites filles, elle exprimait le même sentiment d’injustice. Et ce sentiment d’injustice ne date pas d’hier.

Nous allons programmer notre DeLorean sur l’hiver 1676 et nous atterrissons sur la terrasse du château de Grignan où réside Mme de Sévigné, notre première invitée en direct du XVIIe siècle. Mme de Sévigné pousse la porte-fenêtre et arpente la terrasse pour admirer le coucher de soleil qui embrase la campagne. Mais il fait frais, elle grelotte, frissonne et finit par rentrer. La suite, c’est son correspondant qui la relate :

– Madame de Sévigné s’informant de ma santé, je lui dis : Madame, je suis enrhumé.

– Je LA suis aussi, me dit-elle.

– Il me semble, Madame, que selon les règles de notre langue, il faudrait dire je LE suis.

– Vous direz comme il vous plaira, ajouta-t-elle, mais pour moi, je croirais avoir de la barbe au menton si je disais autrement.

De deux choses l’une. Soit Mme de Sévigné était une dangereuse islamogauchiste adepte du wokisme. Soit, la volonté de nommer les femmes au féminin s’inscrit dans une longue tradition française.

L’objection sur l’assassinat de Molière

Il arrive que l’on reproche à l’écriture inclusive d’assassiner Molière. Rappelons que les auteurs et autrices de l’époque avant le XVIIIe siècle appliquaient aussi la règle de proximité.

Extrait d'un texte d'Iphigénie pour démonter l'utilisation de la règle de proximité chez Jean Racine

Que remarque-t-on dans cet extrait d’Iphigénie ? L’accord se fait en genre et en nombre avec le substantif le plus proche.

L’expression « est toute prête » se rapporte en fait non seulement à la flamme, mais au bandeau et au fer. Cet accord de proximité permettait de dire « les hommes et les femmes sont belles » ou « les femmes et les hommes sont beaux ». On accorde au nom le plus proche.

Que s’est-il passé en 1735 ? Louis XIII demande au cardinal de Richelieu de créer l’Académie française pour régir la langue. L’opération va créer un entre soi, un critère qui permettra de distinguer l’élite (la noblesse) du peuple et de garder la main sur le savoir, d’entraver toute réflexion (pouvant être séditieuse) que permet la langue. Puisque la langue donne accès au savoir et à la réflexion, elle est un outil politique puissant. Il existe bien sûr une volonté d’unifier le royaume de France, aussi, car 80 % de la population du royaume parlait à l’époque quantité de langues régionales.

Mais pourquoi accorde-t-on au masculin ?

Parmi les décisions régentant la langue, dans la grammaire publiée par Nicolas Beauzée dans son édition de 1767, le grammairien explique que l’argument pour choisir cette règle aux dépens d’autres est que : « l’homme est plus noble que la femme ». L’argument n’a rien à voir avec la grammaire, il ne vient pas du latin ni d’ailleurs. Il aurait été possible de choisir l’accord de majorité, ou d’appliquer l’accord de proximité qui côtoyait les autres règles avant que l’Académie française et les grammairiens de l’époque ne prennent cette décision unilatérale. L’argument de son confrère, Napoléon Landais, 67 ans plus tard, varie peu : « le genre masculin est le plus noble, on doit lui donner la préférence ».

La noblesse, aujourd’hui, ne serait-elle pas d’appliquer des règles équitables ?

L’objection du masculin neutre

En français, il n’existe pas de genre grammatical neutre. Concernant les êtres humains, les hommes sont nommés au masculin et les femmes au féminin. Il existe quelques très rares exemples inverses : vigie, recrue, victime, témoin… qui s’explique souvent par le fait que le mot désignait un objet avant de désigner un être humain, mais sexe et genre grammatical sont étroitement liés. D’ailleurs comme en latin où le neutre ne désignait pas des êtres humains à l’exception du nourrisson et de l’esclave, qu’à l’époque on ne considérait pas véritablement comme des humains.

Le mirage du masculin qui inclurait les femmes

Une étude de 2007, menée par Markus Brauer et Michaël Landry chiffre l’importance de nommer au féminin. L’équipe de recherches a interrogé aléatoirement des personnes en leur demandant de citer leur héros ou leur musicien préféré (générique masculin). Dans la deuxième expérience, leur héros préféré ou leur héroïne préférée (générique épicène). « Dans la condition générique masculin 38,8 % des enfants et 20,6 % des adultes imaginent une femme, alors que la même chose est vraie pour 54,4 % des enfants et 40,4 % des adultes dans la condition générique épicène ». On voit que la présence des mots au féminin fait grimper la présence des femmes dans les réponses.

Prenons un autre exemple de recherche en neurolinguistique. Pascal Gygax et Sandrine Zufferey de l’université de Fribourg en Suisse ont donné les 2 phrases « Les musiciens sont sortis de la salle de concert sous la pluie. Un homme a sorti un parapluie » et ont demandé aux volontaires si les 2 phrases avaient un lien. La réponse était oui instantanément.

Mais avec la phrase : « Les musiciens sont sortis de la salle de concert sous la pluie. Une femme a sorti un parapluie ». La même question est posée aux volontaires de l’étude « Est-ce que ces deux phrases ont un lien ? ». Et le cerveau met plus de temps avant de répondre, parce que nous hésitons.

La femme pourrait faire partie des musiciens, puisque le masculin l’emporte, mais, peut-être pas. C’est ce doute qui est troublant pour notre cerveau, le doute entre ce masculin dit générique et le masculin qui désigne des hommes. Les conclusions de l’étude montrent que nous mettons un moment à comprendre que la femme peut être une musicienne, parce que l’on a projeté sur notre écran mental un film ou une image d’un groupe d’hommes. Les musiciens sont des hommes. La femme qui sort son parapluie vient d’ailleurs.

Ces recherches concluent que nous interprétons le masculin non pas comme générique, mais comme se référant aux hommes. Nous n’interprétons pas, ou très difficilement, le masculin comme incluant les femmes.

Nommer fait exister

La question qui vient en regard de ces objections, c’est : « Mais pour quoi faire ? Pourquoi adopter l’écriture inclusive ? » En quoi parler des femmes au masculin est-il dommageable ? Il y a plusieurs réponses à cette question.

  • Toutes les discriminations sont dommageables, qu’elles reposent sur la race, le sexe, l’âge ou le handicap.
  • Le sexisme génère des écarts de salaires et de retraite.
  • Le masculin générique entrave la reconnaissance des femmes, en général.
  • En se privant de certaines personnes, la société tout entière se prive de talents. Les collégiennes et lycéennes ne se projettent pas dans des professions dont l’image est masculine et vice-versa.
  • Parler des femmes au masculin est dommageable parce que l’humanité est composée pour moitié de femmes et d’hommes, c’est une réalité mathématique.
  • Une dernière raison encore, nommer fait exister, ce qui n’est pas nommé n’existe pas.

Cette liste n’est pas exhaustive.

Une fillette aux cheveux bruns lit un livre par terre avec un texte qui reformule une phrase où le masculin n'emporte plus sur le féminin.

Il est possible de communiquer la même information sans nommer les trois petites filles au masculin.

Et maintenant ?

Reprenons notre DeLorean pour entrer dans l’histoire récente avec deux autres invitées. À la fin des années 1980, le gouvernement français crée une commission de néologie à qui est confiée la mission de travailler sur la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions. Notez qu’il ne confie pas la tâche à l’Académie française. Nos deux invitées contemporaines sont : la ministre des Droits de la femme Yvette Roudy, qui s’occupe du dossier et confie la présidence à Benoîte Groult. La commission produit un document qui fait toujours référence « Femme, j’écris ton nom ». Ce document dresse la liste exhaustive des noms de métiers féminins pour nommer les femmes et explique la manière de former le ou les féminins nécessaires.

En préface de ce document, on lit sous la plume de Lionel Jospin : « Qu’une femme exerçant les fonctions de directeur d’école porte depuis plus d’un siècle le titre de directrice alors que la femme directrice d’administration centrale était encore, il y a un an, appelée “madame le directeur” atteste, s’il en était besoin, que la question de la féminisation des titres est symbolique et non linguistique ».

Illisible ou elle-lisible ?

La multiplication du point médian peut rendre un texte difficile à lire au début, mais s’il est utilisé avec mesure et parcimonie, il n’est pas plus difficile à lire qu’une URL. Or, a-t-on cessé de développer et d’utiliser Internet parce qu’une URL, c’est difficile à lire ? Non. Utiliser des hashtags, arobases, etc. est devenu une habitude. Certes, le changement est difficile. Souvenez-vous comment dans les années 2000, on parlait d’arobasque, d’arobaste, on ne savait pas nommer le signe, ni le tracer. Aujourd’hui, ça n’est plus un sujet.

Quels critères pour évaluer la joliesse des mots ?

Certains noms de métiers féminins peu usités semblent bizarres au début. Par exemple, sapeuse-pompière a du mal à s’installer. Parce que la profession est très masculinisée, je dirais même qu’elle joue avec des codes de virilité. Mais nous comprenons très bien ce que veut dire le mot. Or la langue n’a pas d’autre objectif. Faire comprendre. En les utilisant, en s’y habituant, les nouveaux mots perdent leur bizarrerie.

Deux invités surprise

Je vous avais promis deux invités surprise… voici le premier. Il peut vous aider à accomplir votre mission. C’est le point médian. Sa carte d’identité nous apprend qu’il s’obtient avec la combinaison de touches Alt 0183. C’est un outil efficace, mais terriblement jaloux des autres signes que j’ai mentionnés plus haut (arobase, hashtag, etc.) parce que ces signes-là ont été adoptés sans qu’on en fasse toute une histoire. Le point médian (ou tout autre marqueur typographique : trait d’union ou barre de fraction) vous aidera à nommer les femmes et les hommes quand le texte doit obéir à des contraintes d’espace. Ne lui demandez rien d’autre. Que fait-il ? Il marque une abréviation. L’abréviation du doublet : les linguistes engagé·es.

Notre deuxième invité surprise est l’usage. L’usage, c’est vous, c’est nous. Or l’usage évolue. La langue est la nôtre, c’est à nous de décider ce que l’on en fait. À chaque époque, la langue évolue. Le français évolue. Comme toutes les langues vivantes. Aucune langue n’est figée. Le français a une histoire, que je vous invite à découvrir et qui continue à s’écrire, ici aujourd’hui. La langue sert à communiquer, à communiquer des idées, des concepts, elle est un dispositif de maintien de l’ordre social, elle est une construction politique qu’il est possible de se réapproprier. Faisons-le !

On peut à la fois aimer le français, sa richesse, sa complexité et son histoire, et  « avoir confiance dans sa vitalité, sans se complaire dans la nostalgie d’un passé mythique », je cite là Candéa et Véron. L’adaptation aux besoins de l’époque n’est pas un péril. Ayez de l’ambition et emparez-vous de la langue. Elle est à vous, elle est à nous.

Pour conclure, Mme de Sévigné n’était pas une femme à barbe, ni barbante d’ailleurs, l’écriture inclusive n’assassine ni Molière ni Racine, le féminin existe en français, ce qui rend votre mission possible.

110 portraits avec la citation « avoir confiance dans sa vitalité, sans se complaire dans la nostalgie d’un passé mythique » de Candéa et Véron.

Isabelle Meurville est traductrice indépendante depuis 2001. Elle traduit de l’anglais vers le français inclusif dans les domaines des droits fondamentaux et de la transition énergétique. Isabelle applique les règles du français inclusif pour éliminer les stéréotypes de la communication écrite et orale. Elle accompagne les entreprises et organisations qui partagent des valeurs de respect et d’égalité : rédaction, révision, formation. Consultez son profil LinkedIn ici.

La jurilinguistique dans tous ses états (Tome I)

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Par Thomas L. West III

Frédéric Houbert, bien connu des traducteurs juridiques pour ses ouvrages de référence incontournables, tels le Dictionnaire de terminologie juridique anglais-français, dont la deuxième édition est parue en 2020, montre sa belle plume dans sa nouvelle œuvre La jurilinguistique dans tous ses états (Tome I). L’auteur met en évidence sa profonde connaissance du langage du droit en nous offrant un journal dans lequel il raconte ses expériences, ses lectures et ses observations en tant que traducteur, lexicographe et passionné de la jurilinguistique. Quatre thèmes lui servent de fil conducteur tout au long du livre : le langage du droit dans la littérature, les termes juridiques anciens, la traduction juridique et les dictionnaires. Dans un premier temps, il passe en revue les congrès de traduction auxquels il a participé un peu partout dans le monde, que ce soit en tant qu’intervenant ou simple participant. Dans le cadre de ces colloques, il a fait la connaissance des grands ténors qui ont fait la jurilinguistique, tels Jean-Claude Gémar, Susan Sarcevic, Louis Beaudoin et Larry Solan et nous rappelle les contributions de chacun. Ensuite, il nous fait (re)découvrir les références au monde du Droit et aux gens de robe chez les auteurs classiques français, de La Fontaine à Maupassant, en passant par Racine, Molière et Balzac. C’est chez un autre de ces grands écrivains, Montesquieu, qu’il découvre les origines du « langage clair », qui continue de faire couler beaucoup d’encre au XXIe siècle. Et il ne s’agit pas là de la seule mention de thèmes d’actualité. En effet, un billet de six pages est consacré à la modernisation du Code civil.

Dans d’autres chapitres, Frédéric Houbert passe en revue des livres (tels Le Droit n’est pas si vil et The Party of the First Part) sur le langage juridique qui ont vocation à faire sourire leurs lecteurs. En plus, il consacre quelque 16 pages aux termes juridiques ô combien drôles employés à Jersey, qui m’ont bien fait rire. Mais les autres pays au système juridique « mixte » ne sont pas négligés pour autant. Par exemple, l’auteur évoque les particularités du langage du Droit en Inde, au Maroc et à l’île Maurice. Et pour les inconditionnels de la culture populaire américaine, Houbert ménage une surprise : il raconte le rôle qu’ont joué les paroles des chansons de Bruce Springsteen dans les arrêts de la Cour suprême des États-Unis.

Frédéric Houbert tire de l’oubli des dictionnaires anciens qui n’ont pas perdu leur intérêt pour les passionnés du langage du Droit. Parmi ceux-ci on peut citer le Dictionnaire de droit et de pratique de Ferrière (1734) et le Dictionnaire de droit de Delbreil (1852). Il évoque aussi des dictionnaires modernes, allant de ceux qui sont connus de tous, comme le fameux Black’s, au Dictionnaire des expressions juridiques, qui n’est pas aussi célèbre parmi les traducteurs mais mérite sans doute de l’être.

Même si le livre que voici s’adresse de prime abord aux francophones natifs, les traducteurs du français vers la langue de Shakespeare y trouveront leur compte. En effet, l’auteur explique avec soin des expressions de date récente dont la traduction n’est peut-être pas encore connue des traducteurs vers l’anglais, telles « témoin assisté » et « question prioritaire de constitutionnalité », et revient sur les termes archaïques que l’on peut encore rencontrer dans les arrêts des cours françaises et qui peuvent être difficiles à traduire, surtout pour les anglophones. Les régionalismes juridiques risquent, eux aussi, d’être une source de confusion pour le traducteur accoutumé à traduire des documents franco-français. Là encore, l’auteur vient en aide en consacrant quelque sept pages aux belgicismes juridiques.

Dans sa préface, Frédéric Houbert nous promet que ce premier tome sera suivi d’un tome II. Les traducteurs, les lexicographes, les jurilinguistes et les amoureux de la langue française et de son histoire auront hâte de lire la suite, sachant qu’un vrai délice les attend.

Après avoir obtenu son diplôme de Juris Doctor à l’Université de Virginie en 1990, Thomas West a exercé comme avocat dans un grand cabinet d’Atlanta pendant cinq ans avant de devenir jurilinguiste. Il a plus de 25 ans d’expérience dans la traduction juridique et a donné des conférences sur ce sujet en Europe, en Amérique latine, en Afrique du Sud et aux États-Unis. De 2001 à 2003, il a été président de l’American Translators Association (ATA). Il est l’auteur de plusieurs dictionnaires juridiques bilingues, dont le Spanish-English Dictionary of Law and Business et le Swiss Law Dictionary (French-German-English), et a donné un cours de traduction juridique anglais-français/français-anglais à l’université Montclair State dans le premier semestre de 2021. En plus de sa langue maternelle et du français, Thomas West parle l’espagnol, l’allemand, le néerlandais, le suédois, le russe et l’afrikaans.

Beat the Machine: 4 Little Words, 1 Big Challenge

A vintage toy robot
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By Sam Mowry

How it can be March 2021 when it feels like it never stopped being March 2020, I’ll never know! But it’s a new month and a new chance to compare translations. If you need a quick refresher, you can read about the premise of the Beat the Machine mini translation slam in our inaugural post here. Very simply, we’re out to prove how much better human translators are than machines and maybe learn something from one another in the process. After last month’s technical beast, we’re going in a very different direction this month with by far our shortest sentence ever:

Le réveil fut brutal.

Yes, it really is just four words long! This is an excerpt from the book L’Insomnie by Tahar Ben Jelloun. Rather than showing you what Google Translate would have given us (feel free to check, if you’re curious!), here is the context for this sentence, which ends a chapter:

Mes rêves étaient denses et riches. Je me voyais voguer sur les flots bleus de la Méditerranée, comme si j’étais sur des skis. J’allais très vite, des oiseaux de toutes les couleurs m’accompagnaient. Je chantais, je dansais, comme dans un film de Fred Astaire ! J’étais heureux et je crois même que je m’entichai d’une femme brune à la longue chevelure. Mais quelqu’un me disait à l’oreille : « Attention, c’est la mort ; il arrive parfois qu’elle se déguise pour faire diversion ! » C’est alors que je suis tombé dans la mer, je me noyais. Le réveil fut brutal.

Despite the rest of these words before it, I’m only asking for a translation of the very last sentence there. Four words, including a tense we don’t have in English and a noun that doesn’t have a direct equivalent. There are a million ways to go with this, so let’s see what you do!

Submit your translation here by March 31, 2021, and the blog post discussing it will go up in April!

Please note the following:

  • Only FLD members will have their translations posted on this blog. Membership is free for current ATA members, so if you aren’t a member yet, make sure to join before you submit your translation!
  • You are free to submit your sentence anonymously, but half the fun will be crediting the creative submissions we receive by name and recognizing their authors.
  • You may submit as many times as you like in case you have a stroke of genius after your initial submission. This month in particular; you are encouraged to submit as many times as you like!

Have you translated or read a particularly pesky sentence this year that you can share for this project? Please send it along! Are you interested in helping us do the same virtual translation slam, but from English to French? We’d love to have one or more volunteers to do this series, but in reverse! If you’re interested, please contact Ben Karl, the À Propos editor, at ben [at] bktranslation.com or myself, Sam Mowry, at sam [at] frenchtranslation.expert to let us know!

Beat the Machine: Putting Technical Translation Under the Microscope (Sort Of)

 

A vintage toy robot
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By Sam Mowry

Welcome to the February follow-up of our Beat the Machine challenge! In our January post, I suggested a sentence to be translated and asked FLD members to submit their own versions, presumably improving upon the machine translated option. Now it’s time to go over some of their particularly interesting solutions.

As a refresher, this is what we were working with:

La gestion des résultats hors spécification a été revue au travers du dossier suivant : n° XYXY relatif à la fiche n° 123 de maléate de trimébutine dont le point de fusion a été mesuré non conforme ; l’hypothèse d’un capillaire trop rempli pour l’analyse a été confirmée par les séries de mesure n° 2 et n° 3 qui ont donné des résultats conformes.

And here’s what Google Translate gave us:

The management of non-specification results was reviewed through the following file: No. XYXY relating to sheet No. 123 of trimebutine maleate whose melting point was measured as non-compliant; the hypothesis of a capillary too full for analysis was confirmed by series of measurements n ° 2 and n ° 3 which gave consistent results.

Isn’t that fun? No points awarded for guessing this month’s theme, which is clearly SUPER DUPER technical. If it weren’t patently obvious (see what I did there?), this sentence was supplied by our beloved FLD colleague and technical translator extraordinaire, Karen Tkacyzk. Thanks, Karen, for this fascinating glimpse into technical translation. While this sentence struck fear into many hearts this month, mine among them, it’s an excellent opportunity to reflect and appreciate how varied the world of translation is. Even within a single language pair (French into English), the range of materials to be translated runs the gamut from literary fiction to texts like this one and literally everything in between. From a marketing perspective, it’s a good reminder that it’s almost impossible to specialize too narrowly, because this kind of extremely specific text exists in the world and needs to be translated. From a competition perspective, it’s a delight to remember that the vast majority of FR>EN translators are your colleagues, not your competition. I’m just one example, but this text is so far from the kind of texts I work with, and more importantly, it’s even farther from the kinds of texts I have any desire at all to work with. There are more than enough topics for everyone—and on the rare chance that there are many translators specializing in your language, direction, and specific subject: what a gift! A community you can reach out to when you get stuck on a term!

 Karen, blessedly, provided two translations, in her words, “the first one fairly faithful and the second more me writing what they mean”:

Translation 1:

The management of out-of-specification results was reviewed through file No. XYXY regarding form No. 123 for trimebutine maleate, where the melting point was measured as nonconforming. The hypothesis given of testing having been done with a capillary that was too full was confirmed by second and third measurement series, which gave conforming results.

Translation 2:

The management of out-of-specification results was reviewed through file No. XYXY regarding Certificate of Analysis No. 123 for trimebutine maleate, where the melting point measurement did not comply. The hypothesis given, that this was caused by testing with a capillary that was too full, was confirmed by two more series of measurements, where the results complied.

 To translate this yet again into what the sentence actually means (for laypeople like myself): there was a result that didn’t fall in line with the numbers it was supposed to. It was used as a case study for how that kind of result is handled. In this case, specifically form 123 in file no. XYXY, the melting point of a specific chemical seemed wrong. The people testing hypothesized that there was too much of said chemical in the tube to get an accurate result, which they verified by doing it two more times. Then the results were good.

Due to the nature of this sentence, evaluating the submissions we received is more a case of pass/fail, “Is this correct?” than critiquing fun turns of phrase. If you submitted a translation for this sentence, thank you! I really appreciate it, and you did a great job. All the submissions we received were reasonably accurate. I wanted to highlight one that read as particularly smooth to me, as someone without a technical background:

Out-of-specification result management was reviewed using File No. XYXY relating to Sheet No. 123 for trimebutine maleate, whose melting point was found to be non-compliant. Test series No. 2 and No. 3 yielded compliant results, which confirmed the hypothesis that a capillary tube had been overfilled during testing.

I asked Karen for her professional opinion, and she noted that, “Whoever submitted it knows what’s going on and is a decent technical translator.” Congratulations, anonymous submitter! Karen said that the only thing she’d change is that “during testing” at the end of the sentence is ambiguous, but in the source, it does mean the first series. She suggested “…during initial testing,” or “…during the first series.”

Thanks again for all of your submissions! Stay tuned for next month, which I promise will be very different indeed!

Did you forget to submit a translation in time? Not to worry! Share your version on Twitter and tag the French Language Division (@ATA_FLD) and me, @SamTranslates.

If you would like to submit a sentence for a future slam, I would like that very much! You can contact me, Sam Mowry, directly at sam [at] frenchtranslation.expert or on Twitter at the handle listed above. You can also contact the À Propos Editor Ben Karl at ben [at] bktranslation.com.

If you’d like to help launch a similar slam but into French, please also reach out!

Beat the Machine: New Year, New Challenge

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By Sam Mowry

It’s a new year and a new chance to learn from our respected colleagues to improve our translations through the Beat the Machine Mini Translation Slam. If you need a quick refresher, you can read about the premise in our inaugural post here. Very simply, we’re out to prove how much better human translators are than machines and maybe learn something from one another in the process. This time we’re going a different direction, with a sentence submitted by technical translator extraordinaire Karen Tkaczyk, so you know this is going to be a wild time:

La gestion des résultats hors spécification a été revue au travers du dossier suivant : n° XYXY relatif à la fiche n° 123 de maléate de trimébutine dont le point de fusion a été mesuré non conforme ; l’hypothèse d’un capillaire trop rempli pour l’analyse a été confirmée par les séries de mesure n°2 et n° 3 qui ont donné des résultats conformes.

Not exactly poetry! This is what Google’s output looks like:

The management of non-specification results was reviewed through the following file: No. XYXY relating to sheet No. 123 of trimebutine maleate whose melting point was measured as non-compliant; the hypothesis of a capillary too full for analysis was confirmed by series of measurements n ° 2 and n ° 3 which gave consistent results.

The technically minded terminology sleuths amongst us should have a field day with this one!

Submit your (obviously) much better translation here by January 31, 2021, and the blog post discussing it will go up in early February!

Please note the following:

  • Only FLD members will have their translations posted on this blog. Membership is free for current ATA members, so if you aren’t a member yet, make sure to join before you submit your translation!
  • You are free to submit your sentence anonymously, but half the fun will be crediting the creative submissions we receive by name and recognizing their authors.
  • You may submit as many times as you like in case you have a stroke of genius after your initial submission. I will only discuss one submission per person in the review post.

Have you translated or read a particularly pesky sentence this past year that you can share for this project? Please send it along! Are you interested in helping us do the same virtual translation slam, but from English to French? We’d love to have one or more volunteers to do this series, but in reverse! If you’re interested, please contact Ben Karl, the À Propos editor, at ben [at] bktranslation.com or myself, Sam Mowry, at sam [at] frenchtranslation.expert to let us know!

 

Beat the Machine: September Translation Slam

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By Sam Mowry

After a rollicking start to our Beat the Machine online translation slam, we’re back with a new sentence! If you need a quick refresher, you can read about the premise in our inaugural post here. Very simply, we’re out to prove how much better human translators are than machines and maybe learn something from one another in the process.

Here is the sentence for this month:

Mais si les relations sont aujourd’hui plus conflictuelles que jamais, il était pour ainsi dire écrit dans le ciel que la formidable croissance économique chinoise des quarante dernières années, orchestrée qui plus est, depuis huit ans, par un régime Xi particulièrement autoritaire et expansionniste, finirait par déboucher sur une lutte de pouvoir de grande envergure entre la Chine et un empire américain qui n’est forcément plus ce qu’il était.

What was that I said last month about French being fond of long sentences? This one will give you ample opportunity to wade through and potentially break into as many shorter sentences as you see fit. The sky is the limit!

For context, Xi refers to Xi Jinping, the President of the People’s Republic of China, who has been in power since 2012. His name doesn’t require any particular treatment, and “Xi regime” would be a fine translation in this context (but feel free as always to get creative!).

Here is the full paragraph the sentence came from:

Que Pékin ne joue pas franc jeu en matière commerciale est notoire et que la dictature chinoise ait depuis longtemps à l’ordre international un rapport « inadéquat » est incontestable. Que M. Trump joue la corde antichinoise à l’approche de la présidentielle, il fallait s’y attendre. Mais si les relations sont aujourd’hui plus conflictuelles que jamais, il était pour ainsi dire écrit dans le ciel que la formidable croissance économique chinoise des quarante dernières années, orchestrée qui plus est, depuis huit ans, par un régime Xi particulièrement autoritaire et expansionniste, finirait par déboucher sur une lutte de pouvoir de grande envergure entre la Chine et un empire américain qui n’est forcément plus ce qu’il était. Nous y voilà. Pour l’heure, l’ordre du monde est façonné par les faucons des deux côtés.

If you’d like to read the full article from Le Devoir, you may find it here.

Here is Google’s feeble attempt:

But if relations are today more conflictual than ever, it was almost written in the sky that the tremendous Chinese economic growth of the last forty years, orchestrated moreover, for eight years, by a particularly authoritarian and expansionist Xi regime , would eventually lead to a large-scale power struggle between China and an American empire that is not necessarily what it used to be.

Submit your much better translation here by September 30, 2020, and the blog post discussing it will go live in October!

Please note the following:

  • Only FLD members will have their translations posted on this blog. Membership is free for current ATA members, so if you aren’t a member yet, make sure to join before you submit your translation!
  • You are free to submit your sentence anonymously, but half the fun will be crediting the creative submissions we receive by name and recognizing their authors.
  • You may submit as many times as you like in case you have a stroke of genius after your initial submission. I will only discuss one submission per person in the review post.

Have you translated or read a particularly pesky sentence this year that you can share for this project? Please send it along! Are you interested in helping us do the same virtual translation slam, but from English to French? We’d love to have one or more volunteers to do this series, but in reverse! If you’re interested, please contact Ben Karl, the À Propos editor, at ben [at] bktranslation.com or myself, Sam Mowry, at sam [at] translation.expert to let us know!

Beat the Machine: Weaving Musical Genres in Austria?

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Welcome to part two of our inaugural Beat the Machine mini translation slam! In our July post, I asked FLD members to re-translate a complicated sentence to improve upon the machine translation output provided in the post. Now it’s time to review some of the submissions!

Before diving in, I would like to acknowledge that I may have had a little bit of hubris when selecting this first sentence. One of my favorite FLD members suggested it and I thought, “perfect, this thing is a mess, let’s do it!” Then I sat down to tackle it myself and… eesh, this sentence really was a challenge! The good news is that this has been a fun learning experience for us all, and I now know what I’m looking for in future sentences. The other good news is that many of our colleagues were clearly less daunted than I and submitted some really creative solutions. So, let’s dig in!

To refresh our memory, this was the sentence we were working with:

L’excellentissime pianiste classique autrichien Friedrich Gulda n’eût peut-être pas été d’accord, lui qui ne cessa de transgresser les deux grands ordres (jazz et classique) en les reprisant et déprisant dans des concerts qui filaient standards de jazz, classiques des classiques.

And here’s what DeepL gave us:

Perhaps the excellent Austrian classical pianist Friedrich Gulda would not have agreed, as he never stopped transgressing the two great orders (jazz and classical) by reproducing them in concerts that spun jazz standards, classics from classics.

As foreshadowed, there are a lot of things we’re working with here. There are four different parts to this monster, so let’s take it part by part before addressing some really neat things some people did with the structure of the sentence as a whole.

L’excellentissime pianiste classique autrichien Friedrich Gulda…

In the first seven words, everyone agrees about three of them. “Friedrich Gulda” and “Austrian” are pretty concrete! Things immediately diverge after that. Some of the options for excellentissime were excellent, brilliant, and outstanding. However, two people did something pretty clever here, opting for “virtuoso” in English. This is particularly delightful because it folds the level of skill into the noun: Friedrich Gulda, classical piano virtuoso. The alternative, [adjective] + [classical pianist], is perfectly accurate, but virtuoso conveys a level of talent beyond “excellent” that better matches excellentissime (the –issime meaning very excellent) and changes up the sentence structure ever so slightly.

…n’eût peut-être pas été d’accord…

Everyone went with either “would not have agreed” or “would have disagreed.” This a fun reminder that you can structure even seemingly straightforward text more than one way. The difference is slight, but real, and which option is “better” depends on the rest of the sentence: is the goal fewer total words? Shorter words? Depending on the context, choosing something like “may have begged to differ,” could potentially be great.

…lui qui ne cessa de transgresser les deux grands ordres (jazz et classique)…

Here’s where things start to get messy. Ne cessa de became: ceaselessly, always, continued to, constantly, and continually. So many options to convey “something that never stops!” Transgresser is clearly a problem in English, as “to transgress” is much weightier than just mixing musical genres, not to mention the moral or religious overtones. DeepL fell right into this trap. Our human options here included “intermixed,” and “transcended.” My favorite solutions were “went outside the box,” which, while it could use a stronger verb than “went,” encompasses the notion of transgressing in a more palatable way, and my very favorite, “pushed the limits.” He didn’t necessarily break the boundaries, as a transgression might suggest, but he’s right up against it.

…en les reprisant et déprisant dans des concerts…

Oh no, wordplay in the source! The holy grail here would be to come up with something that has the same kind of parallelism or at least some kind of interplay as reprisant et déprisant. Options included: “combining and undoing them,” (accurate, if not a little clunky), “reappraising and transforming,” (yet clunkier, in my opinion). “Taking them apart and putting them back together”: we’re getting there, it’s literal but closer to the mark. “Deconstructing and reconstructing,” is almost there and is the best non-metaphorical option that was submitted; it checks both boxes, opposite words with a similar structure to match the source.

However, there was one superlative submission here that does all of the above but also leads into the next part of the sentence beautifully: “unraveling and reweaving them in concerts.” I swooned.

…qui filaient standards de jazz, classiques des classiques.

The swoon-worthy submission continues: “…that spun together jazz standards and classical classics.” This is why I love this option so much for the previous part. The translator saw filer in this section and put it to excellent use in the previous one, using a thread metaphor to describe how Gulda took apart and reassembled the musical components. The use of “spun” continues the metaphor perfectly.

Lastly, “classical classics,” submitted by two translators, is snappy and alliterative, and I don’t know what more you could ask.

Sentence breaks? What are those?

This mouthful of a French sentence reminds us that what is valued for style in French doesn’t always correspond to what we look for in English: French sentences can run on and on and on. And I actually chopped this sucker in half before issuing this challenge! Two of the translators used a period and broke it into two fully separate sentences; one person used a semicolon for the same purpose. One option that surprised me was to pull the initial verb (“might have disagreed”) all the way to the end, so it read something like “Friedrich Gulda, [description], who [did the things], may well have disagreed.” This, again, is a decision where context matters, and this option may or may not flow into what comes next in the text. But it certainly has the option to, and that’s awesome. Next time, I’ll provide more context so that we can better evaluate options like this one.

Putting it all together, this is a string combining my personal favorite individual translation solutions for this sentence:

Friedrich Gulda, the classical piano virtuoso who continually pushed the limits of two great genres (jazz and classical), unraveling and reweaving them in concerts that spun together jazz standards and classical classics, may well have disagreed.

You know what? I think that’s pretty good! That’s a well-crafted sentence. And, given the notable lack of preceding or following sentences, I can claim it is ideal for the context. So… whew! We made it! I hope that it was useful and informative to see how many options there are for even simple phrases, and what neat things you can achieve with even mundane words. Stay tuned for next month, where we’ll do it all again (with a more approachable sentence this time!).

Did you forget to submit a translation in time? Not to worry! Share your version on Twitter and tag the French Language Division (@ATA_FLD) and me, @SamTranslates.

If you would like to submit a sentence for a future slam, I would like that very much! You can contact me, Sam Mowry, directly at sam [at] translation.expert or on Twitter at the handle listed above. You can also contact the À Propos Editor Ben Karl at ben [at] bktranslation.com.

If you’d like to help launch a similar slam but into French, please also reach out!

Beat the Machine: A Mini Virtual Translation Slam by the ATA FLD

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Beat the Machine: A Mini Virtual Translation Slam by the ATA FLD

Greetings, fellow FLD members (and interested onlookers)!

My name is Sam Mowry and I’m here to help us all translate better. Strong words, I know, but one thing I’ve found to be true in my translation career is that the more exposure you have to translations, particularly good translations, the better translator you become. To that end, this is the first in what I hope will become an ongoing series of posts here in À Propos.

The premise is simple: I’ve never met a translator who, when confronted with someone else’s translation, doesn’t secretly or not-so-secretly think to themselves, “I could have done it better.” Moreover, as human translators, we know we’re vastly superior to every machine translation option on the market. We’re going to combine those concepts into a monthly “beat the machine” virtual translation slam (and by that I mean slamming those machine translations into the ground!).

Every two months, I will post a French sentence with an English translation produced by a widely available machine translation engine. This will incite the faithful readers of this blog to rise to the challenge and show how much better it could be by submitting their own versions of the translated sentence. The following month, I will publish a blog post where I share some of the best submissions and discuss what makes them so good. This is a chance to show what a difference the human touch makes and improve our own translation practices in the process by seeing how other translators approach the same problem.

Sound good?

The first sentence is:

L’excellentissime pianiste classique autrichien Friedrich Gulda n’eût peut-être pas été d’accord, lui qui ne cessa de transgresser les deux grands ordres (jazz et classique) en les reprisant et déprisant dans des concerts qui filaient standards de jazz, classiques des classiques.

Fun, right? Hat tip to FLD member Beth Smith, who provided this sentence. Here is what DeepL spat out:

Perhaps the excellent Austrian classical pianist Friedrich Gulda would not have agreed, as he never stopped transgressing the two great orders (jazz and classical) by reproducing them in concerts that spun jazz standards, classics from classics.

You are no doubt chomping at the bit already to submit your much better translation of this sentence. You can do that HERE.

Submissions must be received by July 22, 2020. The follow-up blog post discussing the best solutions will be posted on or around August 1, 2020.

Please note the following:

  • Only FLD members will have their translations posted on this blog. Membership is free for current ATA members, so if you aren’t a member yet, make sure to join before you submit your translation. When you log in to your account on the ATA website, the number of divisions you belong to is listed at the top of the page. Click “Modify” to change which divisions you belong to (and add the FLD!).
  • You are free to submit your sentence anonymously, but half the fun will be crediting the creative submissions we receive by name and recognizing their authors.
  • You may submit as many times as you like, in case you have a stroke of genius after your initial submission. I will only discuss one submission per person in the review post.

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L’Argot et le traducteur/interprète judiciaire

par Hélène Viglieno Conte

Introduction

Les traducteurs et interprètes judiciaires sont confrontés à de multiples niveaux de langue dans le cadre de leur profession : du registre populaire au registre soutenu, en passant par le style familier ou courant. Dans le langage populaire, nous trouvons, entre autres, l’argot. Le présent article concerne l’argot de France, mais il est bon de rappeler qu’il existe autant de langages familiers dans la langue française que de groupes sociaux et régionaux francophones.

L’argot est un thème vaste au lexique plus vaste encore. Cet article aborde les origines et les fonctions de l’argot, les types d’argot contemporains et leur provenance, les principales situations judiciaires dans lesquelles le traducteur/interprète peut être confronté à l’argot et la nécessité et la difficulté de le traduire/interpréter fidèlement. La conclusion de cet article est suivie d’une petite histoire remplie de termes argotiques liés au judiciaire.

Avant de commencer, rappelons la définition du terme « argot » selon le Larousse :

L’argot est l’ensemble des mots particuliers qu’adopte un groupe social qui veut se distinguer et/ou se protéger du reste de la société.

Origine

Le terme argot date des années 1630, le concept lui-même faisant son apparition dès le 13siècle. Les experts nous apprennent que ce langage a été créé par les malfaiteurs, c’est donc le jargon des bandits. Au 19e siècle, dans ses mémoires, l’inspecteur Rossignol écrivait :

« M. Jacob, lorsqu’il me reçut, me demanda si je parlais l’allemand. À sa place, j’aurais demandé : « Parlez-vous l’argot ? ». La langue verte est en effet la langue que doivent parler tous les inspecteurs de police. Pensez donc ! Tous les jours nous sommes en contact avec des gredins de la pire espèce qui ne disent jamais un mot de vrai français et qui, devant le comptoir des marchands de vin de la dernière catégorie, ne s’abandonnent qu’à ceux qui, familiers avec eux, ont l’air dessalé (malin), et qui s’expriment en leur langage. »

Mémoire de Rossignol

Fonction

Victor Hugo

L’argot a pour fonction première de crypter le discours de celui qui l’emploie. Les locuteurs codent leur message pour ne pas être compris des non-initiés. On retrouve donc la volonté de masquer la langue pour se protéger, comme l’affirme la définition du Larousse.
Victor Hugo — écrivain, poète, historien et philosophe français du 19e siècle — a minutieusement étudié l’argot de son époque en tant que lexique, mais également en tant que phénomène sociolinguistique. Il fut le premier écrivain à avoir la témérité de faire parler l’argot par ses personnages, ce langage étant exécré par la bonne société de son temps. Dans son formidable roman Les misérables paru en 1862, il consacre un long paragraphe au sujet et l’on ne peut que constater le lien étroit qu’il fait entre l’argot et le crime :

« Qu’est-ce que l’argot à proprement dit ? L’argot est la langue de la misère. Il y a, à l’extrémité de tous les abaissements et de toutes les infortunes, une dernière misère qui se révolte et qui se décide à entrer en lutte […] ; lutte affreuse où […] elle attaque l’ordre social à coups d’épingle par le vice et à coup de massue par le crime. Pour les besoins de cette lutte, la misère a inventé une langue de combat qui est l’argot. L’argot n’est autre chose qu’un vestiaire où la langue, ayant quelque mauvaise action à faire, se déguise. […] La voilà prête à entrer en scène et à donner au crime la réplique […]. Elle ne marche plus, elle clopine ; elle boite sur la béquille de la Cour des miracles, béquille métamorphosable en massue ; elle se nomme truanderie. […] Elle est apte à tous les rôles désormais, faite louche par le faussaire, vert-de-grisée par l’empoisonneur, charbonnée de la suie de l’incendiaire ; et le meurtrier lui met son rouge. »

Voici un exemple de la manière dont la langue se déguisait au 19e siècle : « Le grinche a r’piqué au truc en filant une pelure, mais les marchands d’lacets l’ont fabriqué. Il a été gerbé aux durs. » Pour déchiffrer cet obscur message, il faut le décortiquer terme par terme : grinche (voleur), repiquer au truc (récidiver), filer une pelure (dérober un manteau), les marchands de lacets (les gendarmes), fabriquer (piéger), gerber (condamner), les durs (les travaux forcés). Ainsi, sa traduction en français courant serait « Le voleur a récidivé en dérobant un manteau, mais les gendarmes l’ont piégé. Il a été condamné aux travaux forcés. »

L’argot d’aujourd’hui

À notre époque, on pourrait dire qu’il existe deux types d’argot. Il y a tout d’abord l’argot qui a conservé sa fonction cryptique, celui utilisé par les malfaiteurs et autres personnages de la pègre pour ne pas être compris des forces de l’ordre. D’ailleurs, dès qu’un terme argotique à fonction cryptique est déchiffré par la police, il devient obsolète ; c’est pour cela qu’il se renouvelle très vite. De nos jours, l’argot a également une fonction identitaire très prononcée. Il est façonné par des groupes sociaux qui cherchent à se différencier des autres locuteurs. La langue étant un aspect intimement lié à l’identité d’un peuple, l’argot en tant que lexique revêt une fonction identitaire particulière pour ceux qui l’emploient. Il s’agit du langage des jeunes des banlieues et des milieux défavorisés (on fait le parallèle avec Victor Hugo qui qualifiait l’argot de langue de la misère.) L’argot d’aujourd’hui est inspiré du sentiment d’exclusion ressenti par ces jeunes qui, en créant leur propre langage hermétique, peuvent à leur tour exclure ceux qui appartiennent à la société des inclus. L’argot dont la fonction est identitaire se renouvelle moins vite que celui dont la fonction est cryptique, mais il se renouvelle néanmoins, surtout lorsque l’un de ses termes se retrouve assimilé au français courant et perd donc sa nature hermétique.

Provenance

Les termes argotiques que l’on entend ou que l’on emploie aujourd’hui ont diverses provenances. Certains sont tirés du vieil argot, comme le terme feignasse déjà utilisé au 19e siècle. D’autres encore proviennent de l’immigration ; l’histoire de la France étant telle que son argot est fortement influencé par les peuples qui y ont immigré ou qu’elle a colonisés. Par exemple, le terme caïd veut dire chef en arabe, tandis que chouraver signifie voler en tzigane. Il y a également un argot propre aux régions ; un terme argotique utilisé dans un lieu géographique ne le sera pas nécessairement dans un autre. On dira barouf dans la région de Marseille alors qu’ailleurs on se contentera peut-être de dire raffut, c’est à dire tapage (bruit). Il est intéressant de noter également qu’un même terme peut avoir un sens différent selon la région dans laquelle il est employé. Quand une personne du nord-est de la France dit « J’ai les boules », elle exprime qu’elle a les chocottes (c.-à-d. peur). Alors que lorsqu’un Provençal l’utilise, il veut dire qu’il est dèg (dégoûté) ou vénère (énervé)… pas content, quoi !

De nombreux termes argotiques sont issus du verlan, un procédé qui consiste à inverser les syllabes ou encore les lettres d’un mot. On peut verlaniser des termes de français courants comme louche (chelou), fou (ouf), femme (meuf), lourd (relou), fête (teuf), pourri (ripou), etc. On peut également verlaniser des termes argotiques comme mec (kum), tronche (chetron) ou choper (pécho). Et pour bien compliquer les choses, il existe aussi des cas de double verlan : Beur (Arabe) qui a fini par donner Rebeu et meuf (femme) qui s’est transformé en feumeu. Comme nous l’avons lu dans l’introduction, le lexique de l’argot est non seulement extrêmement vaste, mais aussi en constante évolution. Il existe notamment 3 termes qui possèdent plus de 1 000 équivalents argotiques, à savoir, le mot femme (belette, caille, chnek, fatma, fatou, feum, gonzesse, greluche, grosse, loute, meuf, nana, poule, etc.), le mot argent (artiche, biff, bifton, caillasse, flouze, fraîche, fric, galette, gengen, genhar, keusse, khalis, lové, maille, naimo, neutu, oseille, patate, pépette, pèze, etc.) et enfin, l’expression faire l’amour (pour la plupart d’ailleurs vulgaires : baiser, prendre à la hussarde, chevaucher sans selle, farcir, tirer un coup, limer, ramoner, tirer sa crampe, bouillaver, etc.). On pourrait presque dire que ces trois termes rassemblent les principales préoccupations de l’humanité. 😉

Situations judiciaires

Les situations judiciaires dans lesquelles l’interprète ou le traducteur sera confronté à l’argot sont nombreuses. En fait, dès qu’un témoin « lambda » (c’est à dire une personne qui ne témoigne pas en qualité d’expert) est impliqué, nous risquons de rencontrer ce lexique. Voici les principales situations qui concernent l’interprète et le traducteur judiciaires :

  1. Les interrogatoires de police. Par exemple, un suspect qui dira : “J’veux pas aller au chtar ; j’vais balancer.” (Je ne veux pas aller en prison. Je vais parler/dénoncer.”)
  2. Les dépositions. Aux États-Unis, on enregistre les déclarations d’un témoin faites sous serment, lesquelles serviront d’éléments de preuve avant et pendant le procès. C’est bien sûr un cadre plus formel que l’interrogatoire de police, mais encore une fois, selon le témoin qui dépose, des termes argotiques sont parfois employés.
  3. Les entretiens entre un avocat et son client.
  4. Les mises sur écoute sont certainement les situations où les locuteurs seront le plus susceptibles d’utiliser de l’argot s’ils redoutent d’être espionnés. C’est l’exemple par excellence de l’argot à fonction cryptique. Ces situations concernent évidemment le traducteur qui après en avoir fait la transcription devra les traduire.
  5. Enfin, les témoignages au cours d’un procès sont également l’une des situations judiciaires où l’argot peut survenir. C’est d’ailleurs la situation la plus cruciale et la plus difficile — même si elles le sont toutes — dans laquelle l’interprète est tenu de comprendre et d’interpréter fidèlement l’argot. Nous y reviendrons.

Nécessité de traduire/interpréter fidèlement

Le traducteur/interprète judiciaire est un intermédiaire neutre entre plusieurs intervenants. Lorsqu’il transfère un message d’une langue à l’autre, il est tenu de préserver fidèlement le registre utilisé par le locuteur, aussi familier ou même vulgaire qu’il puisse être. À titre de référence, citons les codes de déontologie de l’ATA et de NAJIT :

  • It would be inappropriate to clean up objectionable language in the target language. (American Translators Association)

  • The register, style and tone of the source language should be conserved.
    (National Association of Judiciary Interpreters and Translators)

Pourquoi est-il nécessaire — et même essentiel — de préserver le registre de langue employé par un locuteur, tout particulièrement pendant que l’on interprète un témoignage au cours d’un procès ? Réponse : les jurés. Les jurés sont chargés de prononcer un verdict au terme du procès et, pour ce faire, ils s’appuient sur les différents éléments — et donc les témoignages — qui leur sont présentés pendant les audiences. Aux États-Unis, lorsqu’un interprète est présent, le juge ordonne aux jurés de ne pas prendre en compte le message source (même s’ils le comprennent), mais uniquement l’interprétation qui leur est fournie.

The Bilingual Courtroom

Dans le livre The Bilingual Courtroom : Court Interpreters in the Judicial Process (Susan Berk-Seligson) on apprend que, d’après les études expérimentales menées, un témoin qui s’exprime poliment et correctement est davantage crédible aux yeux d’un jury qu’un témoin qui utilise un registre de langue très familier (dont l’argot). Effectivement, les jurés sont des personnes comme tout un chacun, avec des systèmes de croyances et des préjugés. C’est pourquoi, un témoin qui dit : « Ché pas…. Il m’a dit d’aller chercher les valoches. Fallait qu’on s’casse vite. » aura un autre impact en termes de crédibilité que celui qui dit : « Je ne sais pas, madame. Il m’a dit d’aller chercher les valises. Il fallait qu’on parte vite. »

L’interprète judiciaire est un puissant filtre par lequel passent les paroles du témoin. Il a donc une grande influence sur la manière dont le témoignage en question sera perçu. Si l’interprète judiciaire a la tâche d’assurer une présence linguistique à l’accusé et à certains témoins, rappelons que son rôle premier est de participer à une administration équitable de la Justice. Il n’est là ni pour avantager ni pour désavantager le locuteur et doit veiller à être aussi transparent et fidèle au message source que possible. Il est essentiel qu’un témoin ou qu’un accusé dont le message passe par un interprète soit sur le même pied d’égalité que celui qui s’exprime dans la langue natale des jurés ; ce « pied d’égalité » étant un concept clé. Un interprète qui élève ou abaisse le niveau de langue d’un témoin altère la perception qui se serait formée dans l’esprit des jurés sans la présence d’un interprète, avantageant ou désavantageant ainsi le témoin et influençant l’issue du procès.

Difficulté de traduire/interpréter fidèlement

Cette mission peut parfois sembler impossible, car le lexique de l’argot est vaste, méconnu et en constante évolution. De plus, il ne possède pas nécessairement d’équivalents d’une langue à l’autre (ex. : valoche) et il est parfois issu d’une culture propre (ex. : la veuve = la guillotine, the hot seat = the electric chair). Et lorsqu’un équivalent existe, on constate parfois que son registre n’est pas assez familier ou l’est trop.

Pour contourner ces obstacles, le traducteur a l’avantage de pouvoir faire des recherches, mais dans de nombreux cas (ex. mises sur écoute), il ne peut pas demander des éclaircissements au locuteur. Tandis que l’interprète peut poser des questions directement au locuteur, mais n’a pas le luxe de faire des recherches. C’est pourquoi les interprètes et les traducteurs judiciaires doivent constamment se familiariser avec le lexique argotique (en regardant des séries/films policiers ou documentaires judiciaires, en lisant des polards, en écoutant des émissions de radio, etc.). Pour rester avertis, ils doivent en faire un exercice régulier.

Pour surmonter l’absence d’un équivalent, une petite acrobatie mentale peut se révéler utile. En effet, il faut parfois transférer la familiarité d’un terme dans la langue source sur un autre terme dans la langue cible : « Il m’a dit d’aller chercher les valoches » devient « He told me to go grab the bags ». L’interprète, qui n’a pas le luxe du temps comme le traducteur, doit parfois recourir à un procédé plus simple pour abaisser le registre lorsqu’il ne connaît pas l’équivalent (ou que ce dernier ne lui vient pas à l’esprit). Ainsi, il pourra utiliser certaines expressions anglaise telles que darn, goddamn, freaking ou fucking et, inversement, des expressions françaises comme foutue ou putain de… Attention ! Ce procédé est à utiliser avec grande prudence pour ne pas faire tort au message source.

Conclusion

Pendant notre excursion dans le monde de l’argot, nous avons constaté que ses origines sont directement reliées au monde du crime et que — l’un n’allant pas sans l’autre — ce langage participe donc du domaine judiciaire. En raison de son lexique extrêmement vaste, parfois méconnu et en constante évolution, l’argot présente un défi conséquent au traducteur ou interprète judiciaire qui, d’un point de vue déontologique, est tenu de le reproduire aussi fidèlement que possible dans la langue cible, tout particulièrement en situation de procès afin de ne pas influencer l’issue des audiences. Pour ce faire, le traducteur/interprète judiciaire fera appel à divers procédés pour garantir l’exactitude de sa traduction ou de son interprétation. Une bonne dose de curiosité, l’envie d’apprendre et le respect de la déontologie sont tout autant de qualités professionnelles dont le traducteur ou l’interprète judiciaire peut difficilement se passer lorsqu’il est confronté au défi de l’argot.

Bonus

Petit conte moderne à déchiffrer :

« L’était une fois un proxo qui f’sait tapiner les greluches de son tiécar. Y s’prenait pour un caïd avec son brelic ; zarma il avait même dézingué une tepu qui avait essayé de l’carotter. Mais y s’est fait lanceba aux schmitts par un poukav, alors y s’est carapaté. Y s’est planqué pour pas s’faire gauler. L’a quand même plongé : les condés l’ont filoché et y s’est fait coffrer. On lui a mis les gourmettes et y sont partis à KFC. Z’ont trouvé d’la beuh et du keukra sur lui. Y zavaient assez d’biscuit pour l’envoyer aux assiettes et l’foutre au gnouf. »

[Traduction en français courant : Il était une fois un proxénète qui prostituait les filles de son quartier. Il se prenait pour un chef avec son pistolet ; soi-disant il avait même tué une prostituée/pute qui avait essayé de l’arnaquer. Mais il s’est fait dénoncer à la police par un indicateur, alors il a fui. Il s’est caché pour ne pas se faire prendre. Il est quand même allé en prison : les policiers l’ont pris en filature et il s’est fait arrêter. On lui a mis les menottes et ils sont partis au commissariat. Ils ont trouvé de l’herbe et du crack sur lui. Ils avaient assez de preuves pour l’envoyer en cour d’assises et l’incarcérer.]

Hélène Viglieno Conte est une traductrice certifiée par l’American Translators Association (ATA) dans la combinaison de langues anglais>français. Elle intègre la profession en 2006 et se spécialise dans les domaines judiciaires, médicaux et techniques. Elle est également interprète judiciaire certifiée par les Cours suprêmes de l’Ohio, du Kentucky et de l’Indiana. Hélène fait actuellement partie de la petite équipe de traducteurs AN>FR minutieusement sélectionnés qui collaborent avec le Département d’État des États-Unis. Active dans la profession au niveau local, elle occupe le poste de présidente de la Northeast Ohio Translators Association, un chapitre de l’ATA. Originaire du Sud de la France, Hélène vit aux États-Unis depuis plus de 20 ans et réside actuellement dans le nord-est de l’Ohio.

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