Par Thomas L. West III
Frédéric Houbert, bien connu des traducteurs juridiques pour ses ouvrages de référence incontournables, tels le Dictionnaire de terminologie juridique anglais-français, dont la deuxième édition est parue en 2020, montre sa belle plume dans sa nouvelle œuvre La jurilinguistique dans tous ses états (Tome I). L’auteur met en évidence sa profonde connaissance du langage du droit en nous offrant un journal dans lequel il raconte ses expériences, ses lectures et ses observations en tant que traducteur, lexicographe et passionné de la jurilinguistique. Quatre thèmes lui servent de fil conducteur tout au long du livre : le langage du droit dans la littérature, les termes juridiques anciens, la traduction juridique et les dictionnaires. Dans un premier temps, il passe en revue les congrès de traduction auxquels il a participé un peu partout dans le monde, que ce soit en tant qu’intervenant ou simple participant. Dans le cadre de ces colloques, il a fait la connaissance des grands ténors qui ont fait la jurilinguistique, tels Jean-Claude Gémar, Susan Sarcevic, Louis Beaudoin et Larry Solan et nous rappelle les contributions de chacun. Ensuite, il nous fait (re)découvrir les références au monde du Droit et aux gens de robe chez les auteurs classiques français, de La Fontaine à Maupassant, en passant par Racine, Molière et Balzac. C’est chez un autre de ces grands écrivains, Montesquieu, qu’il découvre les origines du « langage clair », qui continue de faire couler beaucoup d’encre au XXIe siècle. Et il ne s’agit pas là de la seule mention de thèmes d’actualité. En effet, un billet de six pages est consacré à la modernisation du Code civil.
Dans d’autres chapitres, Frédéric Houbert passe en revue des livres (tels Le Droit n’est pas si vil et The Party of the First Part) sur le langage juridique qui ont vocation à faire sourire leurs lecteurs. En plus, il consacre quelque 16 pages aux termes juridiques ô combien drôles employés à Jersey, qui m’ont bien fait rire. Mais les autres pays au système juridique « mixte » ne sont pas négligés pour autant. Par exemple, l’auteur évoque les particularités du langage du Droit en Inde, au Maroc et à l’île Maurice. Et pour les inconditionnels de la culture populaire américaine, Houbert ménage une surprise : il raconte le rôle qu’ont joué les paroles des chansons de Bruce Springsteen dans les arrêts de la Cour suprême des États-Unis.
Frédéric Houbert tire de l’oubli des dictionnaires anciens qui n’ont pas perdu leur intérêt pour les passionnés du langage du Droit. Parmi ceux-ci on peut citer le Dictionnaire de droit et de pratique de Ferrière (1734) et le Dictionnaire de droit de Delbreil (1852). Il évoque aussi des dictionnaires modernes, allant de ceux qui sont connus de tous, comme le fameux Black’s, au Dictionnaire des expressions juridiques, qui n’est pas aussi célèbre parmi les traducteurs mais mérite sans doute de l’être.
Même si le livre que voici s’adresse de prime abord aux francophones natifs, les traducteurs du français vers la langue de Shakespeare y trouveront leur compte. En effet, l’auteur explique avec soin des expressions de date récente dont la traduction n’est peut-être pas encore connue des traducteurs vers l’anglais, telles « témoin assisté » et « question prioritaire de constitutionnalité », et revient sur les termes archaïques que l’on peut encore rencontrer dans les arrêts des cours françaises et qui peuvent être difficiles à traduire, surtout pour les anglophones. Les régionalismes juridiques risquent, eux aussi, d’être une source de confusion pour le traducteur accoutumé à traduire des documents franco-français. Là encore, l’auteur vient en aide en consacrant quelque sept pages aux belgicismes juridiques.
Dans sa préface, Frédéric Houbert nous promet que ce premier tome sera suivi d’un tome II. Les traducteurs, les lexicographes, les jurilinguistes et les amoureux de la langue française et de son histoire auront hâte de lire la suite, sachant qu’un vrai délice les attend.
Après avoir obtenu son diplôme de Juris Doctor à l’Université de Virginie en 1990, Thomas West a exercé comme avocat dans un grand cabinet d’Atlanta pendant cinq ans avant de devenir jurilinguiste. Il a plus de 25 ans d’expérience dans la traduction juridique et a donné des conférences sur ce sujet en Europe, en Amérique latine, en Afrique du Sud et aux États-Unis. De 2001 à 2003, il a été président de l’American Translators Association (ATA). Il est l’auteur de plusieurs dictionnaires juridiques bilingues, dont le Spanish-English Dictionary of Law and Business et le Swiss Law Dictionary (French-German-English), et a donné un cours de traduction juridique anglais-français/français-anglais à l’université Montclair State dans le premier semestre de 2021. En plus de sa langue maternelle et du français, Thomas West parle l’espagnol, l’allemand, le néerlandais, le suédois, le russe et l’afrikaans.