Traduire inclusif en ressources humaines

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Par Laurence Jay-Rayon Ibrahim Aibo, PhD

Bonjour à toustes !

Si la lecture de cette formule de politesse n’a provoqué chez vous ni embolie gazeuse ni violente allergie, vous pouvez continuer à lire le reste de cet article. Âmes résistantes au changement, s’abstenir.

La représentativité constitue un enjeu majeur en ressources humaines. Que l’on traduise une offre d’emploi, une politique d’entreprise ou une nouvelle directive, il s’agit de permettre à tout le monde (et non « à chacun », tournure genrée) de se reconnaître et de se projeter dans un texte. À une époque où les entreprises investissent des sommes considérables dans leur image et veillent à assurer une meilleure parité des genres sur leurs visuels, il est de bon ton — et grand temps — que les textes que nous traduisons soient à la hauteur.

« Aujourd’hui, une offre d’emploi rédigée uniquement avec un masculin générique (par exemple, informaticien recherché) pourrait être perçue comme sexiste. Un texte qui s’adresse à un lectorat mixte, ou qui concerne des hommes et des femmes, peut être rédigé de manière à ce que les deux sexes s’y trouvent équitablement représentés. » (Druide. « Rédaction inclusive ». Points de langue. Avril 2020.)

Ceci n’est pas plus une stratégie

« Dans ce texte, le masculin englobe les deux genres et est utilisé pour alléger le texte. »

Bien entendu, la foudre ne s’abattra pas sur vous si vous utilisez encore cette formule ô combien pratique (« je n’ai pas à m’embêter et puis on a toujours fait comme ça ![1] »), mais, progressivement, votre clientèle exigera de vous, spécialistes de la langue, des solutions. « En français, l’identité de genre des personnes et le genre grammatical, féminin ou masculin, sont étroitement associés. » (OQLF, Banque de dépannage linguistique)

Force est de constater que toutes les régions francophones n’en sont pas au même stade de réflexion. Le Québec a, très tôt, commencé à se pencher sérieusement sur le sujet. Il n’est donc pas surprenant de trouver une pléthore de recommandations, de guides et de suggestions linguistiques en matière de rédaction inclusive au Québec. En France, l’indifférence et la résistance des autorités linguistiques et de certaines institutions ont considérablement ralenti la créativité linguistique. Aujourd’hui, cependant, personne ne veut être en reste et la plupart des pays francophones d’Europe ont emboîté le pas au Québec, à des degrés différents.

Dans ce qui suit, je présenterai quelques stratégies toutes simples pouvant être appliquées aux textes de ressources humaines que nous traduisons de l’anglais au français, langue qui marque plus fortement le genre que l’anglais et dont l’évolution se heurte à des résistances de tous genres. Partant du principe que la traduction est une forme de rédaction contrainte, les mots « rédaction » et « rédiger » utilisés ci‑dessous engloberont automatiquement l’activité de traduction. Je précise que ce billet n’a aucune prétention à effectuer un recensement exhaustif de toutes les ressources des régions francophones évoquées.

Le Petit Robert en ligne précise que l’écriture inclusive s’efforce « d’assurer une représentation égale des hommes et des femmes dans les textes. » Aussitôt dit, aussitôt fait ? Pas si vite, pas si simple. Féminiser un texte consiste à utiliser des formes féminines en le rédigeant, ce qui peut passer par la féminisation des noms de professions (informaticien ou informaticienne, informaticien(-ne), informaticien·ne) ou par le choix de certaines formes grammaticales (tous et toutes). On reviendra sur le choix des formes à notre disposition dans quelques instants. L’écriture épicène, c’est-à-dire qui ne varie pas en fonction du genre, constitue l’une des autres stratégies pouvant être mises en œuvre. « Le nom journaliste, l’adjectif pauvre et le pronom je sont épicènes. » (Dictionnaire Usito). La prolifération récente des guides et manuels d’écriture épicène montre que cette stratégie est aujourd’hui recommandée partout et par tout le monde, car elle permet d’alléger le texte sans imposer de changement et, par conséquent, sans provoquer de résistance audit changement.

Examinons quelques stratégies de rédaction équitable, puis quelques exemples de stratégies de rédaction épicène.

Doublets

  • Les conseillers et les conseillères

Alternance de désignations à caractère dit « générique »

  • Utiliser à tour de rôle « infirmier » et « infirmière »

Accord de proximité

  • Les rédacteurs et rédactrices sont préparées.
  • Les rédactrices et rédacteurs sont préparés.

Notons au passage que l’accord de proximité est encore loin de faire l’unanimité et qu’il est encore difficile, dans le milieu de la traduction, de le proposer à sa clientèle, bien que la règle d’accord du masculin générique n’ait pas toujours existé. En effet, l’accord de proximité a été appliqué dans la langue française pendant plusieurs siècles.

L’utilisation de la troncation, encore appelée doublets abrégés, constitue une autre stratégie d’équité linguistique, dont les formes préconisées varient en fonction des sphères géographiques et des préférences personnelles. L’auteur·e de l’article « Rédaction inclusive » publié dans Points de langue en avril 2020 conseille de les réserver « à des contextes exceptionnels où l’espace manque (tableaux, formulaires) et où aucune solution de rechange n’est possible », et propose un classement des formes de troncation en fonction de leur « nuisance croissante », dont voici la distribution :

« adjoint(e)s
résident·e·s
salarié[é]s
plombier/ière/s
réviseur-euse-s
étudiantEs
lecteur.trice.s »

La troncation avec point médian, comme dans « les candidat·e·s » ou « les candidat·es » (notons que la seconde formule, avec point médian unique où la marque du pluriel est accolée à la marque du féminin, semble être aujourd’hui davantage préconisée que la première), est beaucoup utilisée en sciences sociales et dans la presse française. Les doublets abrégés, comme dans « autorisation du (de la) directeur(‑trice) » ou « signature du [de la] sauveteur[-euse] », sont préconisés par l’Office québécois de la langue française (OQLF). Le Bureau de la traduction, au Canada, déconseille fortement tout signe de troncation, position assez problématique lorsque l’on traduit un texte avec de fortes contraintes spatiales, tel qu’un formulaire, et que des doublets complets ou une tournure épicène sont impossibles. Avant d’aller plus loin, précisons que les partisans du point médian font valoir que ce signe typographique était disponible, au sens de « pas encore pris », tandis que le point traditionnel marque la fin d’une phrase, que les parenthèses indiquent un propos secondaire (connotation problématique lorsque l’objectif désiré est l’équité), que la barre oblique fait référence à la division et que le tiret est déjà utilisé pour le trait d’union (dont la connotation est cependant nettement moins problématique que les parenthèses).

Qui fait quoi ?

Au Québec, la plupart des universités publient des guides sur la féminisation et sur la rédaction inclusive. L’Office québécois de la langue française, le Bureau de la traduction et Druide, l’entreprise de services linguistiques qui est à l’origine du logiciel Antidote, mais aussi du blogue Points de langue, offrent une pléthore de ressources, dont certaines figurent dans la liste de références qui suit cet article.

En France, les multiples résistances de l’Académie française ont considérablement retardé l’entérinement de la féminisation des noms de métier. L’écriture épicène et la troncation avec point médian sont aujourd’hui préconisées par certains organismes publics, dont le Haut Conseil à l’Égalité, qui publie un guide pratique intitulé Pour une communication publique sans stéréotype de sexe. Le point médian semble être rentré dans les mœurs de certaines rédactions et l’agence de communication Mots-clés publie un Manuel d’écriture inclusive recommandé dans certaines universités françaises.

En Suisse, des efforts conséquents ont été déployés en la matière, notamment par l’Université de Genève (Guide romand d’aide à la rédaction administrative et législative épicène) et par le Canton de Vaud (« Exemples et conseils pour la rédaction épicène »).

Quelques solutions toutes simples en ressources humaines

On trouvera ci-dessous quelques suggestions de traductions neutres ou épicènes propres au domaine des ressources humaines :

Le personnel, le personnel salarié (employees)

Cadre, direction, responsable, supérieur·e, dirigeant·e (Manager/management/supervisor)

La clientèle (clients)

La main-d’œuvre (workers, workforce)

L’effectif (workforce)

Les collègues (coworkers)

Le corps enseignant (professors)

Son ou sa supérieur·e (their supervisor)

Son ou sa responsable (their supervisor)

La personne

  • La personne salariée (employee)
  • La nouvelle recrue (new employee)

La personne, cette formidable désignation

Le mot épicène « personne » constitue une stratégie d’écriture aussi simple qu’efficace, comme l’illustrent les quelques exemples qui suivent.

Droits de la personne (Droits de l’homme)

Exemples d’utilisation du mot « personne » au Québec et au Canada :

  • Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (QC)
  • Charte des droits et libertés de la personne (QC)
  • Tribunal des droits de la personne (QC)
  • Loi canadienne sur les droits de la personne (CA)

Cet extrait de la Trousse d’accueil et d’intégration en emploi des libraires publiée par le Conseil québécois des ressources humaines en culture fait une belle démonstration de la simplicité d’utilisation de l’écriture épicène en ressources humaines[2].

« On peut saisir la culture organisationnelle d’une librairie à partir du choix du fonds de livres, des livres qui sont mis en évidence, des caractéristiques des personnes sélectionnées pour y travailler, de la nature des conseils prodigués à la clientèle. »

  • Toute entreprise a avantage à définir de manière précise les conditions de travail des personnes qu’elle embauche.
  • Conseiller la clientèle sur des choix possibles de lecture et répondre à des demandes particulières. Écouter attentivement la demande formulée par la personne.
  • Soumettre à la personne responsable des achats dans la librairie la liste des livres à acheter.
  • L’employeur[3] peut effectuer une retenue sur le salaire si elle est consécutive à une loi, un règlement, une ordonnance du tribunal, une convention collective, un décret ou un régime de retraite à adhésion obligatoire. Il doit obtenir un consentement écrit de la part de la personne salariée pour toute autre retenue. »

L’utilisation de noms collectifs (clientèle, auditoire), du nom des services d’une entreprise (la direction, la comptabilité, le service du personnel) ou de mots épicènes (spécialiste, bénévole, collègue) permet de facilement dégenrer le texte. On retrouve d’ailleurs souvent ces stratégies d’écriture dans la presse de langue française, qui évoque « le milieu de la traduction », « le patronat », « la rédaction », etc.

Le Canton de Vaud, dans son excellent « Exemples et conseils pour la rédaction épicène », propose quelques trucs fort astucieux en matière de tournures non personnelles. Il s’agit ici de mettre l’accent non pas sur la personne en elle-même, mais plutôt sur son autorité, sa compétence, son activité ou son état, éléments d’ailleurs beaucoup plus pertinents que le genre en milieu de travail.

  • Date de naissance (plutôt que « Né/Née le… »).
  • Le tribunal fixe les sanctions de sorte que… (plutôt que « Le juge fixe »).
  • Les secours sont arrivés (plutôt que « Les sauveteurs… »).
  • En cas de blessure, ne pas laisser l’élève sans surveillance (plutôt que « ne pas laisser l’élève blessé seul »).

Le Manuel d’écriture inclusive de l’agence Mots-Clés illustre les possibles à partir de la déclinaison suivante :

Formulation genrée initiale :

« Merci à tous d’être à leurs côtés. »

Formulation inclusive fléchie :

« Merci à tous et à toutes d’être à leurs côtés. »

Formulations inclusives épicènes :

  • « Merci d’être à leurs côtés[4]. »
  • « Merci à vous d’être à leurs côtés. »
  • « Merci à tout le monde d’être à leurs côtés. »
  • « Merci à l’ensemble de nos collègues d’être à leurs côtés. »

Au-delà des tournures ci-dessus, assorties de degrés d’économie variables, les spécialistes de la langue que nous sommes disposent d’une autre tournure, très économique, mais nouvelle. Les personnes présentant une résistance naturelle au changement sont susceptibles de sursauter. Cependant, posons‑nous en toute honnêteté la question essentielle : qui ne comprend pas le sens de « Merci à toustes » ?

Il en va de même pour les pronoms non binaires « iel » et « iels », qui sont les formes les plus fréquemment utilisées pour traduire en français le « they » non binaire, même si quelques variations orthographiques sont parfois observées (« ielle » et « ielles »). Bien que ces pronoms n’aient fait leur apparition que tout récemment, ils se comprennent parfaitement en contexte.

Progressivement, les textes que nous traduirons en ressources humaines reflèteront une volonté d’intégration de toutes les personnes, au-delà du masculin générique et du binaire traditionnel. La langue doit suivre, y compris la nôtre, et elle suit déjà. Il suffit d’observer son usage actuel pour s’en rendre compte. Il est donc important de pouvoir être force de proposition vis-à-vis de notre clientèle. Par ailleurs, en mettant en avant cette compétence, nous nous dotons d’un atout supplémentaire de taille, qui ajoute de la valeur aux services que nous offrons.

Merci à toustes de votre attention.

[1] Oui, la terre était plate aussi pendant longtemps.

[2] Caractères gras ajoutés par l’auteure.

[3] « Employeur » est ici utilisé au sens de personne morale (entité juridique), et non de personne physique.

[4] Palme de la tournure économique.

Photo : Laurence Ibrahim Aibo

Laurence Jay-Rayon Ibrahim Aibo est titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en traduction de l’Université de Montréal. Elle est traductrice agréée par l’OTTIAQ, au Québec, et interprète médicale agréée par la CCHI, aux États-Unis. Elle exerce depuis une trentaine d’années et a commencé sa carrière en Europe, puis en Afrique avant de se tourner vers les Amériques. Aujourd’hui, elle enseigne la traduction à l’école de traduction Magistrad, à Québec, et l’interprétation et la traduction à l’Université du Massachusetts Amherst. Ses domaines de spécialisation comprennent le secteur médical, les ressources humaines, les sciences humaines et sociales, la culture et le sous-titrage. Elle dirige le projet de traduction d’archives coloniales intitulé Colony in Crisis in Haitian Creole et sa première monographie, The Politics of Transaltion Sound Motif in African Fiction, est sortie en mars 2020 chez John Benjamins Publishing. Coordonnées : laurence@intofrenchtranslations.com | https://intofrenchtranslations.com/home/

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Liste de références

ARTICLES

Auteur anonyme. « La bataille de l’écriture épicène ». https://cursus.edu/articles/43843/la-bataille-de-lecriture-epicene. Thot Cursus. 7 octobre 2020.

Auteur anonyme. « Rédaction inclusive ». Points de langue. Druide. Avril 2020. https://www.druide.com/fr/enquetes/redaction-inclusive

Bruno. « Pourquoi utilise-t-on le point milieu dans l’écriture inclusive ? Le Figaro, 23 novembre 2017 https://leconjugueur.lefigaro.fr/blog/point-milieu-ecriture-inclusive/#:~:text=Le%20point%20milieu%20(aussi%20appel%C3%A9,%C3%A0%20la%20place%20des%20espaces.

Eschapasse, Baudouin. « Écriture inclusive, on caricature le débat ». Le Point, 29 octobre 2017. https://www.lepoint.fr/societe/ecriture-inclusive-on-caricature-le-debat-27-10-2017-2167914_23.php

DICTIONNAIRES SPÉCIALISÉS

James, Christopher, et Antoine Tirard. Dictionnaire des Ressources humaines : français-anglais/Dictionary of Human Resources: English-French. 4e édition. Rueil-Malmaison : Éditions Liaisons, 2009.

Ménard, Louis. Dictionnaire de la comptabilité et de la gestion financière. Version numérique 3.1. Institut canadien des comptables agréés, 2014. [Une nouvelle version numérique sort en décembre 2020]

Peretti, Jean-Marie. Dictionnaire des Ressources humaines. 7e édition. Paris : Vuibert, 2015.

DOCUMENTS TYPES ET GUIDES DE RÉFÉRENCE EN FRANÇAIS

Agences Mots-Clés (France). Manuel d’écriture inclusive. https://www.motscles.net/ecriture-inclusive

Association Divergenres. https://divergenres.org/regles-de-grammaire-neutre-et-inclusive/

Haut Conseil à l’Égalité (France). Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe. https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/bibliographie/

Conseil québécois des ressources humaines en culture. Trousse d’accueil et d’intégration en emploi des libraires

Canton de Vaud (Suisse). « Exemples et conseils pour la rédaction épicène ». https://www.vd.ch/guide-typo3/les-principes-de-redaction/redaction-egalitaire/exemples-et-conseils-pour-la-redaction-epicene/

Université de Genève (Suisse). Guide romand d’aide à la rédaction administrative et législative épicène. https://www.unige.ch/rectorat/egalite/files/9314/0353/2716/charte_epicene_GE_ecrire_genres.pdf

LEXIQUES, GLOSSAIRES, RECOMMANDATIONS AU QUÉBEC ET AU CANADA

Office québécois de la langue française. Articles sur la féminisation et la rédaction épicène.

Office québécois de la langue française. Formation sur la rédaction épicène. (2018)

Bureau de la traduction. Recommandations sur l’écriture inclusive dans la correspondance

Bureau de la traduction. Lexique sur la diversité sexuelle et de genre : https://www.btb.termiumplus.gc.ca/publications/diversite-diversity-fra.html?fbclid=IwAR34q_vFMc4vVSngX9RxO_mYLTvmlbz3sHP78y3igMctQVjyBVJDKj-eU8w