[Transcript] ATA Continuing Education Series Podcast – Episode 15 – Translating Toponyms

ATA French Language Division Podcast
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Episode 15: Translating Toponyms

Angela Benoit: Hello and welcome to the continuing educational series, a podcast produced by the French Language division of the American Translators Association, produced as a benefit for our members and those interested in joining us. Our series strives to offer educational content about the craft of French to English and English to French translation, and about our division. I am your host, Angela Benoit.

It is my pleasure today to welcome a very special guest, André Racicot. André is a retired English to French translator, editor, terminologist, and trainer for the Translation Bureau of the Government of Canada. He focused on the translation of foreign geographical names. He’s published a List of Names for Countries, Capitals and Inhabitants in 2000 that was integrated into the style guide of the Canadian Department of Foreign Affairs. You can visit him on Twitter or contact him through his website, and we will publish the links to his Twitter account and website on the blog post that accompanies this episode. André, bonjour et bienvenue. Merci d’avoir accepté notre invitation aujourd’hui pour parler des toponymes.

André Racicot : Bonjour. Oui. Alors ma spécialité, en quelque sorte, lorsque j’ai œuvré au Bureau de la Traduction pendant presque une trentaine d’années, c’était justement de traduire les toponymes. Et j’en ai fait en quelque sorte une vocation.

Angela Benoit : Et quelle est la chose que vous avez constatée par rapport aux toponymes et à leur gestion, à leur prise en charge par les dictionnaires grand public et spécialisés pour les traducteurs que nous connaissons tous.

André Racicot : J’ai constaté assez rapidement que les dictionnaires français comportent de nombreuses insuffisances. Quand vous regardez la partie « Noms communs », habituellement, les dictionnaires essaient de vous ouvrir le chemin, d’aller au-devant des difficultés. Par exemple, « chausse-trappe », on va vous préciser qu’il y a une graphie avec un p et un autre avec un double p. Pour les noms composés, on va généralement indiquer la forme plurielle parce que les règles sont assez difficiles parfois à saisir. Mais quand vous allez dans la partie « Noms propres », et que vous cherchez des noms, d’État, de pays, de ville et tout ça, on entre dans une zone floue. On dirait que les dictionnaires ne veulent pas du tout nous aider et font en quelque sorte un service minimum. Et pourtant, on s’attendrait au même service, si on veut, du côté des noms propres.

Angela Benoit : Et pourtant, nous traducteurs, sommes amenés à chercher des toponymes parfois obscurs, peu connus, dans des endroits reculés que nous connaissons mal. Donc, est-ce que vous pouvez nous parler un petit peu plus de la façon dont nous allons approcher ce problème ?

André Racicot : Oui, c’est ça. Ce qui arrive, c’est qu’il y a des noms très, très connus, évidemment, et ceux-là ne posent pas vraiment de problème. Mais si vous cherchez le nom d’une province mexicaine, d’une région en Afghanistan ou en Suède, qu’importe, très souvent, le genre grammatical n’est pas indiqué et même s’il est indiqué, c’est sous une forme raccourcie, nom masculin, nom féminin. Et le problème, c’est que ça ne dit pas tout : loin de là. Ça laisse beaucoup de choses dans l’ambiguïté. Bien entendu, quand on parle de toponymes très connus, « le » Nicaragua ou « la » Polynésie, il n’y a aucun problème. Mais je me rappelle qu’il y a une trentaine d’années, lorsque je travaillais à Radio-Canada, on cherchait désespérément le genre grammatical d’Iran et d’Israël. Et ça ne se trouvait pas dans les dictionnaires. Et on sait très bien qu’Israël ne prend pas d’article et l’Iran en prend un. Et on trouvait ça assez aberrant que Le Larousse et Le Robert ne soient pas plus explicites à ce sujet-là. Et le fait de préciser qu’un nom est masculin ou féminin, ça règle une partie du problème. L’autre partie du problème, c’est, un, l’article. Est-ce que ça prend l’article ou pas ? Bon, tout le monde sait que pour Cuba et Haïti, ça n’en prend pas.

Mais quand on arrive à des entités plus exotiques, c’est beaucoup moins clair. Et l’autre problème, c’est une petite parenthèse, c’est le gentilé, le nom des habitants. Si vous allez voir la Grèce vous découvrez que le gentilé, c’est les Grecs, évidemment. Or la forme féminine de Grec, tout comme pour la Turquie, les Turques, elle est irrégulière. Avec Grecque, G-r-e-c-q-u-e, tandis que Turque, une Turque, T-u-r-q-u-e. Et ça pose un problème, le féminin, parce qu’il y a des formes qui ne sont pas si claires que ça. Vous avez le Kenya par exemple. Les habitants, c’est des Kényans, Kényanes. Et la question qui se pose est : « est-ce qu’on double le ‘n’ en français  ? Et là encore, ce n’est pas précisé. Il faut se reporter à la section « noms communs ». Allez voir kényan ou grec pour voir enfin la forme féminine. Alors là encore, les dictionnaires ne font rien pour nous aider. Au contraire, ils nous forcent à fouiller à gauche et à droite pour y arriver et réunir tous les renseignements. Et ça ne devrait pas du tout être comme ça.

Angela Benoit : Oui, effectivement, il faut qu’on fasse quatre recherches pour trouver un nom, un nom, ou un adjectif. On perd beaucoup de temps.

André Racicot : Perfectly, oui. Effectivement.

Angela Benoit : Parlez-moi du cas de la Grande Bretagne : on en a discuté en préparant cet épisode. C’est un cas qui illustre beaucoup de points de ce problème. Dites-nous en un petit peu plus.

André Racicot : Ouais, ben, c’est ça la Grande Bretagne, c’est un pays qui est proche de la France. Et quand on parle de traduction des toponymes, je pense qu’on pourrait y revenir tantôt, ce qu’on constate, c’est que les toponymes qui sont le plus souvent traduits sont ceux des régions proches de la France, soit des pays avec qui la France a eu des rapports rapprochés, si on veut. La Grande Bretagne, c’est un pays qui est proche de la France, c’est de l’autre côté de la Manche. Il y a eu la conquête normande en 1066, le français est devenu la langue de la couronne britannique, et il y a eu un mélange des deux langues entre la langue populaire, qui était le vieil anglais, et la langue française, ce qui fait que les deux langues ont beaucoup de points communs.

Il y a énormément de faux-amis entre l’anglais et le français, et l’anglais est une langue germanique qui est extrêmement francisée, beaucoup plus francisée que l’allemand ou le néerlandais. On a même dit que l’anglais, c’était en quelque sorte du néerlandais brodé de français. Il y a eu, on le sait, beaucoup de tensions entre la Grande Bretagne et la France. Il y a eu la guerre de 100 Ans, il y a eu une espèce d’antagonisme entre les deux. Je pense, moi, que les deux peuples français et britannique s’admirent mutuellement mais n’osent pas trop le dire. Et l’un dénigre continuellement l’autre. En tout cas, bon, finalement, il y a eu un rapprochement avec l’Entente Cordiale en 1904. Les deux pays ont lutté côte à côte contre l’Allemagne.

Pourtant, malgré cette évidente complicité historique, il y a très peu de toponymes en Grande Bretagne qui ont été traduits. Et ça, c’est assez curieux. Oui, dans les grandes villes, vous avez Londres et Edimbourg. Mais si vous cherchez dans les autres villes, Manchester, York, Birmingham, Cambridge, Oxford, il n’y a pas de traduction. Il n’y en a aucune en fait. Et en ancien français, Westminster s’appelait Ouestmoutier. Mais évidemment, ça fait très longtemps que ça a disparu. Et quand on regarde les régions, il y en a très peu. Il y a l’Angleterre, l’Écosse, Pays de Galles, la Cornouailles avec un s, et l’Irlande du Nord. Mais quand vous regardez les grandes régions, vous avez les Highlands, les Highlands, parfois appelées Hautes Terres, mais c’est très rare.

Mais le reste, le Yorkshire, le Kent, le Dorset, là encore, il n’y a pas de traduction. Et en fait, c’est plutôt l’anglais qui s’est beaucoup inspiré du français. Je l’ai dit tantôt l’anglais est une langue très, très francisée, et vous avez des appellations à Londres qui sont assez amusantes parce que, en réalité, elles viennent du français. Alors, par exemple, si vous allez dans Hyde Park, vous avez Rotten Row. C’est un non-sens, une route pourrie. À quoi ça rime ? Bien, c’est une déformation du français route du roi, tout simplement parce que Hyde Park était un domaine royal au Moyen-Âge. Vous avez Piccadilly Circus. Piccadilly, à quel mot français ça vous fait penser_00:47:28_ Pas évident ?

Angela Benoit : À la Picardie, peut-être ? Je dis ça complétement en l’air.

André Racicot : Non, des peccadilles, ma chère. Donc, c’est le rond-point des peccadilles parce qu’on vendait toutes sortes de breloques à cette époque.

Angela Benoit : D’accord…

André Racicot : Alors, Picadilly. Pardon ?

Angela Benoit : La ligne a sauté un petit peu, allez-y, je vous écoute

André Racicot : Oui, une autre appellation à Londres, vous avez Elephant and Castle. Et ça, il faut vraiment se gratter la tête. C’est une déformation de Infante de Castille. Alors là, on voit que l’anglais a été beaucoup influencé par le français. Et ce qui est assez amusant de nos jours, c’est qu’on a des mots d’ancien français qui sont passés en anglais et qui reviennent en français. Je vous donne l’exemple du tennis. Le tennis, ce n’est rien d’autre que le jeu de paume français. Donc, on peut dire en forçant un peu que les Français ont inventé le tennis. Et au jeu de paume, quand vous tendiez la balle à l’adversaire, vous disiez tout simplement « tenez. » Et tennis vient du Français tenez. Évidemment, les Britanniques ont développé le sport que l’on connaît aujourd’hui et par rebond, le mot tennis est revenu en français pour désigner un type de chaussure athlétique. Alors vous avez des mots comme ça qui ont voyagé un peu d’une langue à l’autre. ? Mais il n’en demeure pas moins, pour résumer le cas de la Grande Bretagne, qu’il y a finalement en Grande Bretagne au niveau de la toponymie, il y a très, très peu de traductions.

Angela Benoit : Intéressant. J’aurais jamais imaginé pour tennis, mais c’est finalement une petite partie de ping pong que ce mot a fait entre les deux pays.

André Racicot : C’est ça.

Angela Benoit : Passons ensuite au prochain thème, le changement d’aspect en traduisant un toponyme ?

André Racicot : Oui, oui. Le changement d’aspect, oui. Ce qui arrive, c’est qu’il y a des appellations qui sont, qui ont varié un petit peu dans leur traduction, c’est à dire qui ne sont pas tout à fait pareilles en anglais et en français. Je vous donne quelques exemples. Vous allez comprendre assez vite. Si on parle par exemple du Straight of Dover en Angleterre, on ne dirait pas le Détroit de Douvres. Il n’y aura pas une traduction intégrale de l’anglais. On ne suit pas la démarche de l’anglais. Et en français, ça s’appelle le Pas de Calais, et on voit que la façon, le référent, si on veut, en anglais, c’est évidemment Dover, Douvres, et en français, le référent devient un mot français, qui est Calais.

On voit un petit peu le même phénomène avec Bay of Biscaye, qui en français devient le Golfe de Gascogne. Alors on voit que le référent a changé. Le référent est français, tandis que, à l’origine en anglais, le référent est d’Espagne. La notion de Bay devient en français un Golfe parce qu’il y a une certaine différence en français entre une baie et un golfe. Un golfe, c’est beaucoup plus gros. En anglais, on ne semble pas faire la nuance. Un peu comme river, qui peut être un fleuve ou une rivière. On a Bay of Bengal, ça devient en français le Golfe du Bengale. Le même phénomène pour Channel of Corfou, qui devient en français le Détroit de Malte et non plus Corfou. Là, voyez non seulement un Canal; Channel ici, devient un Détroit parce qu’il ne s’agit pas d’une construction humaine, donc, on ne peut pas parler de Canal comme on parle du Canal de Suez ou du Canal de Panama. Mais ici, on aboutit à un détroit.

Angela Benoit : C’est incroyable le nombre de questions qu’on se pose, pourrait se poser ou qu’on ne se pose pas en regardant les cartes d’Europe, que pourtant ’on a tous l’habitude de consulter. Passons ensuite aux noms des pays qui changent, justement. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire à ce sujet ?

André Racicot : Ouais, c’est ça. Il y a beaucoup de noms de pays qui ont évolué et souvent c’est à cause de la décolonisation. Dans les empires français et britannique, les empires coloniaux, ce sont des [inaudible] au 20ème siècle, ce qui fait que la Rhodésie, par exemple, a adopté un nom plus authentique, si on veut, qui n’est plus d’origine britannique et s’est appelée Zimbabwe. Il y en a une autre partie qui a pris le nom de Zambie. Le Sud-Ouest Africain, bon, nom très occidental est devenu la Namibie. C’est une ancienne colonie allemande. Le Zaïre, l’ancien Congo Belge, est devenu maintenant La République Démocratique du Congo. Et ce qui est intéressant, c’est que tous ces changements d’appellation sont assimilés en français, sont acceptés. Il n’y a personne qui va se mettre à parler de La Rhodésie à la place du Zimbabwe.

Là où ça devient intéressant, c’est d’observer du côté français une certaine réticence vis à vis de nouvelles appellations. Par exemple, la Macédoine, qui est une région de Grèce mais aussi un ancien État yougoslave, a finalement adopté l’appellation Macédoine du Nord, pour ne pas fâcher les Grecs. Ça va passer sans problème dans les dictionnaires, ça va. Mais un cas patent de résistance, c’est La Biélorussie. Lors de l’effondrement de l’empire soviétique, il y a une quinzaine de républiques qui sont devenues des états souverains. Et La Biélorussie a changé son nom officiellement aux Nations Unies et s’appelle maintenant Le Bélarus, qu’on aime ça ou pas. Ce qui est assez curieux, c’est que les dictionnaires français ne semblent pas avoir pris en compte ce changement de nom. L’entrée principale est toujours Biélorussie, et ils disent en biélorusse /Bjélarus/. C’est comme ça que ça se prononce. Alors c’est assez curieux parce que l’appellation Bélarus n’est pas très, très usitée en français, alors qu’en anglais on accepte plus volontiers les changements de noms et on parle beaucoup plus souvent du Belarus en anglais. Alors il y a une espèce de résistance française devant certaines appellations qui sont traditionnelles et qu’on emploie depuis des siècles.

Et là, je vous amène en Inde : Bombay, qui s’appelle maintenant Mumbai; Calcutta, qui est devenue Kolkata; et Madras, qui est devenue Chennai. Les appellations indiquées par les Indiens, adoptés par les Indiens, et qui sont des changements de nom officiels sont reprises dans les médias anglais. Mais en français, si vous ouvrez un dictionnaire, vous avez encore l’entrée principale à Bombay, Calcutta et Madras. Et ce n’est que récemment que j’ai pu observer dans la presse française, et ça englobe la francophonie, aussi bien le Canada que l’Europe ou l’Afrique, que le terme Mumbai semblait se glisser peu à peu dans les textes français. Alors qu’il s’agit bel et bien d’un changement de nom officiel. Alors ça, c’est un phénomène qui est assez curieux où on voit qu’il y a peut-être un certain traditionalisme en français. On abandonne moins volontiers certaines appellations qu’on est habitué de voir, même si le nom officiel d’un État ou d’une ville a changé.

Angela Benoit : Et vous dîtes, juste pour la petite, juste pour faire l’essai pendant que vous nous présentiez le cas de la Biélorussie, ou de Bélarus, et de Bombay ou Mumbai. J’ai pris la liberté de taper rapidement Larousse et Bombay, Mumbai pour voir ce qu’il en sortait sur internet. Eh bien, je vais vous lire la définition.

André Racicot : Oui.

Angela Benoit : C’est L’Encyclopédie Larousse, qui nous dit ça. Depuis 1976, son nom officiel en langue marathi.

André Racicot : Oui.

Angela Benoit : Je ne sais même pas comment le prononcer, est Mumbai, mais la ville est encore souvent désignée sous son ancien nom de Bombay. Donc, même Le Larousse essaye de faire perdurer l’ancien nom. C’est à se demander pourquoi. J’avoue que je ne m’étais jamais posé la question, mais il faudrait effectivement qu’on se mette à utiliser Mumbai comme tout le monde.

André Racicot : Oui, pour ce qui est du Larousse, je tiens à dire que c’est peut-être le dictionnaire le plus fiable pour l’exactitude des graphies, les bonnes appellations et Le Larousse, généralement, reflète assez bien ce qui se dit dans la francophonie quant aux graphies et aux termes employés. Donc, vous voyez que Le Larousse hésite encore à abandonner Bombay.

Angela Benoit : Oui, et pour le cas précédent, effectivement, l’entrée est sous le nom de Biélorussie.

André Racicot : Hum. Ouais, ça ne me surprend pas du tout. Je ne pense pas que ça va changer demain matin.

Angela Benoit : Et sur cette fiche lui-même, on ne fait même pas mention des deux noms, c’est à dire qu’il précise seulement qu’en Biélorussie et en russe, Bélarus, anciennement Russie Blanche, mais rien de plus. On ne fait pas mention du dit nouveau nom.

André Racicot : Non, c’est incroyable et ça fait quand même depuis 1991, je pense, que le Bélarus a adopté ce nom-là. Et encore, une génération plus tard, on s’en tient à la Biélorussie.

Angela Benoit : Oui, c’est dingue ça. Et bien passons au sujet suivant : l’attribution d’un genre grammatical à des toponymes non traduits. Je vous avoue que c’est un problème auquel j’ai été souvent confrontée parce que j’ai fait beaucoup de traductions dans le tourisme et l’hôtellerie. On parle beaucoup de grandes villes, de petites villes, de petits villages, de petites régions. Et la question du genre grammatical se pose systématiquement.

André Racicot : Oui, j’ai peut-être deux exemples à vous donner. Il y a cette région du Mexique qu’on appelait le Chiapas, qui a été, qui a défrayé les manchettes il y a déjà un bon bout de temps. Quand vous regardiez dans les éditions antérieures des dictionnaires, il n’y avait aucun genre grammatical. Donc, on était laissé dans le vide. Est-ce qu’il faut dire le Chiapas, la Chiapas, est-ce qu’on met un article, est-ce qu’on n’en met pas ? Là encore, le lecteur francophone était dans le flou. Depuis lors, les dictionnaires sont devenus un peu plus précis et on vous indique généreusement maintenant que c’est un nom masculin. Mais encore là, la question de l’article se pose. Et justement, j’ai consulté Le Robert et Le Larousse hier. Et il faut aller dans le corps du texte pour arriver à trouver si effectivement on dit le Chiapas, et dans un paragraphe, on voit qu’on dit le Chiapas. Et ça me ramène à la situation dont je parlais tantôt, de se battre avec ces dictionnaires.

Je vous donne un autre exemple comme ça. Vous avez Bahreïn, qui est un émirat, Bahreïn, on a dit que c’était un nom masculin et on entend souvent le Bahreïn, or Bahreïn ne prend pas d’article, mais ce n’est pas indiqué dans les dictionnaires. Et là encore, comme Chiapas, il faut aller dans le corps du texte pour trouver un endroit où on va dire « Bahreïn est situé à l’est de la péninsule arabique ». Et l’autre problème que ça amène, le fait de ne pas préciser si on met l’article ou pas, c’est que ça a des répercussions sur devinez quoi ? Les prépositions !. Alors, si je vous dis Bahreïn, qu’est-ce qu’on dit, à Bahreïn, au Bahreïn ou en Bahreïn  ? Et vous hésitez probablement, comme tout le monde, parce que ce n’est pas clair.

Angela Benoit : Et j’ai une pensée émue pour nos collègues qui sont interprètes et qui doivent décider dans l’instant sans pouvoir consulter un dictionnaire, sans pouvoir se retourner et demander à un collègue, [??], du coup parce que j’ai hésité et parce qu’on est en train d’enregistrer un épisode, je ne saurai quoi vous répondre.

André Racicot : Eh bien voilà, voilà. Si je vous avais dit Guatemala, vous m’auriez répondu tout de suite au Guatemala, si je vous avais dit la Tasmanie, vous m’auriez dit en Tasmanie. Mais voilà, avec Bahreïn, comme il n’y a pas d’article, on hésite. Et même pour des toponymes connus, comme Cuba, on dit à Cuba, mais quand vous arrivez à Haïti, est-ce qu’on dit à Haïti ou en Haïti ? Et là, c’est un autre problème, on n’est pas sûr et il n’y a pas un dictionnaire qui va vous donner la solution. Et en fait, les Haïtiens disent en Haïti. Pourquoi ? Parce que c’est un h qui n’est pas aspiré. Et à ce moment-là on a tendance à faire la liaison. Mais ce n’est pas évident. C’est pas écrit nulle part. Alors, ce qui n’est pas clair pour Bahreïn, ce qui n’est pas clair pour d’autres toponymes, vous imaginez bien que, quand vous abordez des régions inconnues et qu’on ne précise pas le genre grammatical, la tendance lourde que j’ai pu observer, c’est de mettre le masculin.

Prenons par exemple une région de Suède, le Småland, le dictionnaire, je pense, nous dit que c’est un nom masculin. Mais notre tendance naturelle, c’est de mettre un article, tout simplement. On est porté à ne pas mettre d’article quand il s’agit du nom du Nil par exemple, ce qui est justement le cas de Cuba. En ce moment-là, on ne met pas d’article. Mais là encore, ce n’est pas clair, clair dans les dictionnaires. Allez-vous perdre dans Le Grevisse pour essayer de trouver des règles et Grevisse va observer une certaine tendance pour telle chose, une tendance contraire pour autre chose. Et cela, on est un peu laissé dans l’expectative. Alors là encore, même Le Grevisse ne vient pas vraiment régler la question. En fait, ce n’est pas clair du tout.

Angela Benoit : Ça ne nous facilite pas la vie tout ça. Passons ensuite à la translittération des toponymes venant de langues ne s’écrivant pas en caractères romains. Nous avons notamment parlé, pendant la préparation de cet épisode, du russe ?

André Racicot : Oui bon, la translittération c’est un terme un peu scientifique et probablement que ça ne dit pas grand-chose au lecteur, à moins justement de s’être mesuré à la langue russe, si je peux parler ainsi. La translittération, qu’est-ce que c’est ? En clair, c’est qu’il y a beaucoup de langues qui ne s’écrivent pas en caractères latins. Il y a divers alphabets dans le monde. Le russe a adopté l’alphabet cyrillique et il y a le géorgien, le thaï, le coréen qui ont des alphabets distincts. Le problème, c’est que les noms russes…

Angela Benoit : [inaudible].

André Racicot : Oui.

Angela Benoit : Il faut bien, pourtant, il faut bien qu’on puisse en parler en français de ces endroits. Il faut qu’on puisse les écrire aussi.

André Racicot : Ben c’est justement ça. Alors si vous parlez, c’est parti de la langue russe, évidemment. C’est écrit en cyrillique. Il faut donc écrire des noms russes en français, en anglais, en polonais, en hongrois, et ainsi de suite, en alphabet latin. Et l’exemple le plus évident que je puis vous donner, et qui montre qu’on ne transcrit pas les sons de la même façon d’une langue à l’autre, c’est le cas de Vladimir Poutine. Qui est un cas éclatant, si je peux dire, parce que si vous lisez la presse française, vous allez lire P-o-u-t-i-n-e, ça se dit /Poutine/. On reproduit le son russe, /Poutine/. Mais quand vous arrivez en anglais, si vous lisez la presse anglaise, vous allez être un peu surpris de lire P-u-t-i-n. Alors on voit tout de suite qu’on ne peut pas prendre la graphie à l’anglaise de Poutine et la mettre dans un texte français, on aurait Putin. C’est un cas…

Angela Benoit : C’est un peu gênant.

André Racicot : C’est un peu gênant, oui. Peut-être qu’on aurait une note diplomatique de l’Ambassade de Russie. Mais bon, ce phénomène-là ne touche pas uniquement le président russe. En fait, tous les noms russes s’écrivent d’une manière différente en anglais, en français, en allemand parce que les sons ne sont pas transcrits de la même manière. Je vais me concentrer sur trois sons, le son /ch/, le son /tch/ et le /j/ français. Le son /ch/, si vous avez Chostakovitch, vous allez dans—chez un disquaire francophone et dans l’ordre alphabétique il sera à la lettre C, C-h-o, parce le son /ch/ en français s’écrit c-h-o. Mais si vous allez chez un disquaire anglais, il sera à la lettre H,  parce que le son /ch/ c’écrit sh, ce qui veut dire que Chostakovitch en français et en anglais, ce qui n’est pas tout à fait de la même façon, et le son /tch/ à la fin sera écrit t-c-h en français et c-h en anglais. Et ça c’est un cas qui est assez flagrant. Et ça touche aussi les écrivains, les personnalités. Tolstoï va s’écrire o-ï en français, mais pas o-y comme en anglais parce que, en français, on lirait /Tolstoi/. De la même manière, Dostoïevski, Pouchkine, P-o-u-c-h-k-i-n-e en français, mais en anglais est P-u-s-h-k-i-n. Le e muet en français évite de dire /Pouchkin/ comme on écrit Lénine, Staline et ainsi de suite. Ce qui veut dire finalement que le russe, mais aussi l’ukrainien, le biélorusse et tout ça, et l’ensemble des langues de l’ancien empire de Russie, et plus tard de l’empire soviétique, par tradition, en français, on va les translittérer selon une graphie française. Ce qui veut dire que, ce que vous lisez dans un journal anglais, ce n’est pas écrit de la même façon que dans un journal français.

Pour les traducteurs, ça pose un sacré problème. En Europe, on est très, très conscient de cette question-là. Il y a une tradition francophile en Russie qui fait que, en français, on a toujours mis un certain soin à écrire leurs noms, les noms russes, correctement en français. Mais au Canada français, c’est une problématique qui est largement ignorée. Les rédacteurs, les journalistes ne semblent pas du tout conscients du phénomène, ce qui fait que, bien sûr, ils vont écrire Poutine correctement pour ne pas se ridiculiser. Mais quand c’est des noms plus obscurs, un général russe ou bon un porte-parole de l’ambassade, ils vont souvent reprendre la graphie anglaise sans se poser de questions. C’est d’ailleurs ce qu’a fait Radio-Canada il y a quelques jours avec le président ukrainien Porochenko, qu’on écrit avec un sh à Radio-Canada au lieu d’un ch. C’est des erreurs qui sont très courantes au Canada, mais en France par exemple, ce n’est pas une chose qu’on va faire. Ce n’est pas le genre d’erreur qu’on va commettre, tout simplement.

Alors pour les traducteurs, ça devient compliqué parce qu’on traduit de l’anglais au français. Et ce qui arrive, c’est que les traducteurs vont lire des noms russes écrits à l’anglaise, et il va falloir les retransformer de façon à ce qu’ils aient une graphie française. Or, il n’existe aucun moyen d’y parvenir, sauf une table de translittération que j’ai créée quand j’étais au ministère des Affaires Étrangères du Canada. Et cette table-là part d’une graphie anglaise d’un nom russe et la transforme en graphie française. Cette table-là se trouve maintenant dans le guide du rédacteur de l’administration fédérale au Canada. Et c’est le seul outil, à ce que je sache, qui permette de faire cette conversion. Parce qu’autrement, si vous cherchez des documentations sur la langue russe, on va vous montrer comment Pouchkine s’écrit en cyrillique et comment on doit l’écrire en français. Mais nous, on ne part pas du cyrillique, on part d’une graphie anglaise. C’est un problème très particulier.

Angela Benoit : Oui, effectivement. Passons du russe, passons au cas particulier du chinois, qui présente lui aussi des difficultés auxquelles les traducteurs francophones vont devoir se confronter…

André Racicot : Oui, le chinois, c’est un cas très, très particulier. On sait que c’est une langue écrite, en idéogrammes, donc c’est pas du tout des caractères latins. Pendant longtemps, il y a eu un système de translittération qui s’appelait le Wade-Giles et qui aboutissait en français à certaines graphies et à d’autres graphies en anglais. De sorte que les noms chinois, un peu comme le russe, s’écrivaient de manière différente, que ce soit en anglais, en français, en allemand ou dans d’autres langues à caractères latins. Au début des années 70, je pense que c’est en ’72, les Chinois ont décidé d’adopter le système de transcription pinyin, qui uniformise les graphies dans les langues occidentales, ce qui signifie que dorénavant, par exemple, Mao Tsé Toung doit s’écrire exactement de la même manière en allemand, en français ou en anglais. C’est ce qui fait que le nom du président chinois Xi Jinping s’écrit de la même façon dans toutes les langues.

Évidemment, ça va faciliter la vie des rédacteurs occidentaux, mais ça va entraîner des transformations assez spectaculaires de noms très connus. Et ici, on ne parle pas uniquement des noms de lieux. Vous avez le fameux Pékin, Beijing, qui est apparu justement à cette époque-là. Et on pourrait presque parler d’antagonisme chez les francophones parce que là encore, c’est le même phénomène qu’avec Mumbai ou la Biélorussie. Les francophones ont gardé l’appellation Pékin, alors que du côté anglophone, on a adopté Beijing. Et ce n’est pas une faute en soi de parler de Beijing en français, c’est le nom de la ville, mais là encore, c’est une appellation qui s’étend sur des siècles. Pékin, on veut la conserver. La ville de Nankin devenue Nanjing, et Canton, méconnaissable, qui s’écrit maintenant G-u-a-n-g-z-h-o-u, ça se prononce probablement quelque chose comme /Guanjou/ ou /Guanzou/, je ne sais pas trop. Mais toujours est-il que cette graphie-là a changé, et encore une fois dans les dictionnaires français, les entrées sont toujours à Pékin, Nankin, et Canton.

Ce n’est pas uniquement les toponymes qui sont affectés par ça. Les noms de célébrités, les noms de personnes ont vu leur graphie changer de façon assez radicale : Mao Tsé Toung, qui s’écrivait en trois mots en français, s’écrit maintenant deux mots, et Mao s’étaient toujours de la même façon, mais le Tsé Toung est devenu Z-e-d-o-n-g. Donc moi je lis /Zedong/. Le philosophe Lao Tsu en deux mots devient Laozi, L-a-o-z-i. Et là, le problème aussi, c’est que c’est la prononciation. Je me suis adressé à un spécialiste quand j’étais aux Affaires Étrangères. Il me disait que finalement, les graphies du pinyin ne sont pas vraiment phonétiques, que des lettres peuvent changer de prononciation selon qu’elles sont précédées par une lettre ou une autre. C’est un petit peu comme le français avec le s qui devient z entre deux voyelles. Ces graphies-là finalement sont assez déroutantes, et il faut savoir exactement comment les prononcer. Donc, oui, uniformisation des graphies,  c’est plus sain. Mais pour ce qui est de la prononciation, ça demeure toujours aussi mystérieux malheureusement. Et le chinois ? C’est un cas particulier parce que les autres langues asiatiques, le japonais, par exemple, le thaï, on a tendance à translittérer vers l’anglais.

La translittération ce n’est pas une loi universelle, on l’applique surtout pour les pays de l’ancien empire soviétique. Mais quand on a des noms au Pakistan, en Inde et tout ça, la tendance lourde, c’est de translittérer vers le français. Et même certains noms russes n’y échappent pas. Les vedettes de sport, par exemple, comme Maria Sharapova, si elle avait joué au tennis dans les années 30 ou 40, en France on aurait écrit C-h-a-r-a-p-o-v-a. Or aujourd’hui on l’écrit avec le Sh, qui est évidemment une translittération vers l’anglais. Et vous avez un autre joueur de tennis, Andreï Roublev, écrit à l’anglaise, Andrey, c’est d-r-e-y. Et en français, ça devrait normalement être d-r-e-ï; et Roublev, R-o-u-b-l-e-v, on écrit R-u-b-l-e-v. Alors on voit déjà qu’il y a des petits accrocs comme ça dans le monde du sport. Bon, le cas le plus aberrant, puisqu’on peut poursuivre un peu sur la translittération des noms, c’est évidemment Benjamin Netanyahu. Alors je suppose…

Angela Benoit : Oui, effectivement.

André Racicot : Oui. Alors je suppose que vous l’avez entendu couramment. Benjamin Netanyahu, c’est ce qu’on lit dans beaucoup de journaux, et ce qui est assez curieux, selon les sources que vous lisez, son nom parfois devient Benyamin. Dans Le Petit Larousse, on écrit bel et bien Benyamin. Comment ça se fait qu’on épelle Benjamin ? Alors, c’est un autre cas et c’est peut-être le cas ici le plus aberrant, le Premier Ministre israélien, normalement son nom devrait être translittéré, donc Benyamin parce que c’est comme ça qu’il s’appelle, et Le Larousse donne justement cette graphie-là. Comment ça se fait qu’on écrit Benjamin partout ? C’est parce que Monsieur Netanyahu a étudié aux États-Unis et probablement qu’il a simplifié son nom. Il en avait marre de l’épeler et on aboutit à Benjamin et non pas à une translittération, mais bel et bien à une traduction. Et ça, ça ne se fait pas. On ne traduit pas les prénoms ni les noms de famille des personnalités. Par exemple, Albert Einstein, je ne dirai jamais Albert la Pierre. La chancelière allemande qui porte le très joli nom de Angela, personne ne va l’appeler Angèle Merquel par exemple. Alors comment ça se fait qu’on traduit le nom de Netanyahu ? C’est une aberration. Et comme si cela ne suffisait pas, pour en rajouter, Netanyahu est orthographié de différentes façons, parfois avec le n-é, parfois avec le y-a-h-o-u, donc translittération à la française. Et parfois, c’est une graphie anglaise sans accent aigu, y-a-h-u, qui se prononce /Netanyahu/ en anglais, alors c’est un cas assez déroutant.

Angela Benoit : Effectivement. Et juste pour illustrer votre propos, j’ai essayé de trouver des exemples sur internet pendant que vous expliquiez ce cas, et je vous avoue que c’est un petit peu le bazar. On a un accent du côté du [journal] Monde, ou on ne l’a pas du côté de—qu’est-ce que j’ai fait là—on ne l’a pas du côté de Wikipédia, enfin personne n’arrive à se mettre d’accord, que ce soit au sein de l’Hexagone ou de la Francophonie de manière générale. Passons…

André Racicot : Ben, si vous permettez une petite remarque là-dessus, c’est qu’internet, évidemment, ce n’est pas une source qui est très fiable lorsque tout le monde écrit n’importe quoi. Alors quand vous cherchez une graphie exacte, il faut regarder très exactement quelle est la source parce qu’autrement… Ce qui s’écrit dans Wikipédia, n’importe qui écrit dans Wikipédia, et ce ne sont pas toujours des graphies très fiables. Il y a des fautes de grammaire. Je peux vous donner un exemplaire très très rapide du mur des Lamentations à Jérusalem. Pour ce qui est des majuscules, le français a des règles particulières pour les majuscules, et dans ce cas-ci, il faudrait mettre Lamentations avec la majuscule et mur en minuscule. Si vous cherchez dans internet, vous allez voir toutes les combinaisons possibles : deux majuscules à Mur et à Lamentations; pas de majuscules du tout; majuscule à Mur, minuscule a lamentations. Alors lancer une recherche dans internet, c’est comme regarder dans Paris-Match ou dans la presse populaire, voir comment on écrit tel mot en disant, « Ah oui, tiens bon, celui qui sort gagnant cette semaine, c’est telle graphie. Je vais prendre celle-là, ça doit sûrement être la meilleure », ça veut absolument rien dire. C’est pas fiable.

Angela Benoit : Oui. C’est vrai, c’est vrai. Je continue de regarder d’autres liens. On a vraiment de tout. Que ce soit du côté de la presse française, belge ou canadienne, on a vraiment toutes les graphies que vous avez présentées, comme quoi prendre une décision quand on est traducteur et qu’on est devant ces noms de personnalités, c’est vraiment quelque chose de compliqué.

André Racicot : Effectivement.

Angela Benoit : : Notre dernier sujet pour aujourd’hui, c’est le pluriel des toponymes, avec ou sans s. Qu’est-ce que vous pouvez nous dire à ce sujet et comment est-ce qu’un traducteur peut tenter de commencer à réfléchir à ce problème ?

André Racicot : Je n’ai pas compris la question. Voulez-vous répéter  ?

Angela Benoit : Pardon c’est les toponymes avec ou sans s, le pluriel. C’est le dernier sujet qu’on avait choisi aujourd’hui.

André Racicot : Oui, le pluriel. C’est un problème assez épineux. Ça renvoie au fait que les règles de grammaire en français ne sont pas toujours très claires, et qu’elles ne sont pas appliquées uniformément. Que vous avez des bons auteurs qui vont choisir une graphie, d’autres auteurs vont plutôt choisir telle graphie et que très, très, très souvent, les grammairiens eux-mêmes ne sont pas capables de faire l’unanimité sur une question. Le pluriel des toponymes, c’est justement un cas patent. Et celui qui me vient tout de suite à l’esprit, c’est les Amériques. Il y a un changement d’appellation ici qui est assez intéressant, et donc je pense qu’il vaut la peine d’en parler. Jadis, on disait l’Amérique. L’Amérique, c’était clairement un continent. Et l’appellation, les Amériques, est apparue en français depuis quelques décennies sous l’influence de l’Américain. Pourquoi ? Parce que les Américains appellent leur pays America. C’est une forme raccourcie du United States of America et le terme Amérique, pour désigner les États-Unis, est devenu de plus en plus utilisé en français. Bon, ça date pas d’aujourd’hui, on peut penser à Tocqueville, de la Démocratie en Amérique, et il ne parlait pas du continent, il parlait des États Unis. Toujours est-il que, comme disait Gabriel García Márquez, vous, les Américains, votre pays n’a pas de nom : les États-Unis de quoi ? Qu’est-ce que vous êtes, vous êtes [inaudible] ? Toujours est-il qu’abusivement on a transformé le mot Amérique pour désigner les États Unis, un peu comme si, pour l’Europe, on appelait les Allemands, « les Européens ». Je ne pense pas que les Européens seraient très contents, mais c’est ce qui s’est passé en Amérique.

Alors l’appellation « les Amériques » s’écrit tout naturellement avec un s. Je dis tout naturellement parce qu’il y a une certaine logique. On écrivait les Flandres avec un s, par exemple. Mais quand on veut ajouter un pluriel à d’autres toponymes, on avait les Allemagnes. Aujourd’hui, on a les Corées et les Irlandes. Il y a une certaine logique qui prêche en faveur d’un s au pluriel. L’ennui, c’est que les grammairiens ne s’entendent pas à ce sujet-là. Beaucoup condamnent le s en disant c’est un nom propre et on n’a pas d’affaire à mettre un s.

Ça se défend en partie. Si vous prenez le nom des dynasties, vous allez vous rendre compte que très souvent, on va mettre un s, comme « des Bourbons ». Je pense qu’on met un s par exemple. Alors pourquoi on n’en mettrait pas à Corée ? La question reste à poser. Et là encore, le traducteur est obligé de regarder, de fouiller dans les dictionnaires, dans des ouvrages de difficultés de la langue pour constater, soit qu’on est catégorique d’un côté ou de l’autre et que les ouvrages se contredisent, soit qu’on va faire des nuances. Certains auteurs disent ceci, d’autres font cela et ainsi de suite. Et Le Grevisse est plein de cas comme ça, où des règles de grammaire qui apparaissent bétonnées finalement sont battues en brèche par des membres de l’Académie française qui, dans leurs livres parfois ont même fait des fautes d’accord de participe passé. C’est incroyable ! Alors ça montre que tout ça n’est pas si solide qu’on peut le croire.

Quand on arrive avec les villes, quand on parle des villes, là, c’est beaucoup plus clair, on ne met pas de s. On peut dire par exemple que Jérusalem est divisée en quatre quartiers principaux. On pourrait dire les quatre Jérusalem. On ne mettra pas de s. Jadis, il y avait deux Berlin. On n’a pas mis de s non plus. Alors tout ça reflète une certaine incohérence du français. Et on pense que les règles sont très, très claires. Mais très souvent l’usage, lui, fluctue et c’est très déroutant pour la personne qui traduit, parce qu’elle doit prendre une décision assez rapidement, n’a pas le temps de compulser les encyclopédies, les dictionnaires à n’en plus finir, et que malheureusement, souvent, c’est un peu des choix personnels qu’on finit par faire dans ces cas-là. Personnellement, moi j’écris les noms propres avec des s. Quand je lis les deux Corées, je mets un s et c’est comme ça. Et je suis sûr qu’il y a des gens qui ne seraient pas d’accord avec moi là. Alors souvent le traducteur, il est forcé de faire certains choix qui pourraient être contestés par son réviseur, par le client qui n’aime pas telle graphie et ainsi de suite… Et souvent un client qui en sait beaucoup moins que lui sur la question de la langue.

Alors, tout ça pour dire qu’il est important d’avoir des sources qui sont très fiables. Au risque de me répéter, je pense que Le Larousse donne un bon aperçu de l’usage en français. Il a des graphies beaucoup plus exactes pour les noms étrangers que Le Petit Robert, qui a parfois des graphies un peu déroutantes. Mais quand on va dans internet, c’est [important] d’aller sur des sites qui sont crédibles, par exemple, mon blog, ça peut une très bonne source pour ce genre de problèmes.

Angela Benoit : Des problèmes qui, je pense, ne finiront pas de poser des questions, des difficultés, des interrogations pour les traducteurs. Mais en tout cas,  cet aperçu très, très riche que vous venez de nous donner, je pense, donne à notre public, à nos auditeurs, des pistes pour commencer à se poser plus de questions sur les toponymes, à se demander comment est-ce qu’on les traduit, où trouver les informations et les réponses à leurs questions. Et sur ce, à propos de cela, j’aimerais revenir sur votre, alors je n’ai que le mot anglais, je ne sais pas si vous l’avez traduit, mais la List of names for countries, capitals and inhabitants.

André Racicot : Oui. Oui

Angela Benoit : Si nos auditeurs veulent la consulter, où peuvent-ils la trouver ?

André Racicot : Oui, c’est la Liste des noms de pays, de capitales et d’habitants. Elle est bilingue, évidemment, et elle a été éditée par le gouvernement du Canada en l’an 2000 et elle a été reprise par le ministère des Affaires Étrangères du Canada. On peut la consulter en allant tout simplement faire des recherches dans la base de données Termium, du gouvernement fédéral. C’est très facile à trouver sur Internet. Vous cherchez un nom de pays, un nom de région et vous allez avoir le contenu de la liste, qui contient des prépositions, qui précise si on met l’article ou pas. Quand il y a élision de l’article, par exemple Afghanistan, on va préciser que c’est « nom masculin », et il n’y a aucun dictionnaire qui vous donne les prépositions comme je l’ai dit tantôt. Et il y a des appellations que l’on voit parfois dans la presse française, la République Tchèque par exemple et le Centrafrique. Il n’y a pas d’entrées dans les dictionnaires, c’est incroyable. Ce sont des surnoms, mais ils sont employés régulièrement. Alors vous devez savoir que la Tchéquie, c’est la République Tchèque et que le Centrafrique, c’est la République Centrafricaine. Dans cette liste-là, il y a des renvois vers les appellations plus officielles, évidemment.

Angela Benoit : Eh bien, juste pour s’amuser, j’ai tapé très rapidement Mumbai dans Termium et contrairement au Larousse, j’imagine que vous savez avant même que je dise quoi que ce soit, comment est organisée la fiche, à votre avis, qu’est-ce qui sort quand je tape Mumbai dans Termium ?

André Racicot : Oui, c’est ça [inaudible]. Dans Termium, justement, on a intégré un certain nombre de renseignements, un certain nombre de recherches, mais il y a aussi des terminologues qui ont alimenté cette liste-là. Souvent, les terminologues ont une approche assez rigoureuse en disant, bon,  qu’est-ce qu’on dit officiellement ? Qu’est-ce que j’ai vu à gauche et à droite ? Personnellement, je pense qu’on devrait dire Mumbai, puisque c’est comme ça que la ville s’appelle. Alors, j’ai fait un autre ouvrage qui s’appelait Le Lexique des noms géographiques, qui malheureusement n’a jamais été édité, mais qui comprend 5 000 entrées de toponymes qui se traduit de l’anglais au français. Cette base-là, ce lexique-là, il a été en grande partie intégré dans Termium. Alors, pour des appellations plus ésotériques, on peut trouver également des informations dans Termium.

Angela Benoit : Et là, vu que je l’ai sous les yeux,  la fiche Mumbai de Termium précise et est beaucoup plus conforme à la réalité. Elle précise que Mumbai est le nom correcte et officiel, que Bombay est une ancienne désignation et que malheureusement…. puisque, qu’est-ce qui s’est passé là ? « Bombay : nom remplacé par «Mumbai» en 1995; par contre, le nom «Mumbai» est encore fréquemment utilisé en français »». J’aurais cru qu’ils disent le contraire. Mais bon, il est justement beaucoup plus proche de la réalité, en fait.

André Racicot : Oui, c’est ça.

Angela Benoit : Cet exercice de comparaison que je voulais faire avec Le Larousse, vu qu’on en avait parlé tout à l’heure.

André Racicot : Oui, l’ensemble des recherches que j’ai faites sur les toponymes, souvent ça décrivait un peu la réalité, et je pense que c’est dans cet esprit-là qu’il faut faire des recherches. Dans mon blog, justement, je traite de ce genre de questions, de traductions, de toponymes, le fait que beaucoup de noms de villes, par exemple aux États-Unis, ont été défrancisés. Par exemple, des villes comme Détroit portaient l’accent aigu dans Le Larousse 1934 de ma mère. Aujourd’hui, il y a plus d’accent aigu, et Le Larousse, il y a quelques années, a rétabli les graphies françaises de villes bel et bien fondées par des Français comme Bâton-Rouge, par exemple; Saint-Louis, on écrit maintenant dans Le Larousse avec le trait d’union; Bâton-Rouge qui a reçu son accent circonflexe et le trait d’union alors que ces graphies-là avaient disparu des ouvrages français, ce qui est vraiment triste parce que ce sont des appellations françaises. Et même New York, qui est anglais, oui, portait un trait d’union jadis et n’en prend plus. Et cette anglicisation, elle touche aussi bien d’autres toponymes. Par exemple, on écrivait Nouvelle Dehli dans le Larousse de ma mère.

Aujourd’hui, on dit New Delhi. La ville de Vilnius était i-o-u-s. Dans la graphie francisée aujourd’hui, ça s’écrit Vilnius, et il y a beaucoup d’autres appellations comme ça. Et dans les recherches que j’ai faites, je fais des liens avec des anciennes graphies françaises. Alors tout ça peut être trouvé dans internet, tout le fruit de mes recherches et également dans mon blog. Et ceux qui choisiront de me suivre dans Twitter c’est aussi le genre de problème dont je traite, et avec des références aux derniers articles publiés dans mon blog. Alors ça permet de suivre facilement mes réflexions sur la langue française.

Angela Benoit : Et on précisera les liens de votre blog et de votre compte Twitter dans la publication qui accompagnera cet épisode d’ailleurs. C’est sur Twitter que nous nous sommes rencontrés, un outil que je trouve fantastique pour les traducteurs. On trouve plein de trucs et de conseils, d’astuces, de questions, d’interrogations qu’on se pose, on essaie de s’entraider et de trouver des réponses. Et je suis vraiment ravie d’avoir fait votre connaissance sur cette plateforme et d’avoir pu enregistrer avec vous cet épisode aujourd’hui.

André Racicot : Mais je vous remercie beaucoup de m’avoir invité. Ça a été un plaisir et un honneur de participer à cette conversation.

Angela Benoit : Merci beaucoup, André.

André Racicot : Au revoir.

André Racicot : J’ai la petite conclusion à faire, j’ai oublié de vous prévenir, la conclusion.

André Racicot : D’accord.

Angela Benoit : De la FLD, parlons en langue anglaise parce que nous sommes rattachés à la American Translators Association.

André Racicot : Bien sûr, bien sûr.

Angela Benoit : Donc, nous allons conclure en disant que this podcast is produced by the French Language Division of the American Translators Association. Our current Administrator is Jenn Mercer. Our Current Assistant Administrator is Andie Ho. You can subscribe to the continuing education series podcast on Soundcloud at Soundcloud.com/ATA/FLD or on iTunes by searching for the words continuing education series in the iTunes Store. You can contact the FLD at dividisionfld@atanet.org or you may visit our website at www.ata/divisions.org/FLD, and make sure to capitalize those three letters at the end, FLD. You may also get in touch with us on social media. This is Angela Benoit, signing off. Thank you for listening. À bientôt.

Angela Benoit is an interpreter and translator based in Ottawa, Canada. You can find her on her website, LinkedIn, and on Twitter.

André Racicot is a retired English to French translator, editor, terminologist, and trainer from the Translation Bureau of the Government of Canada. He holds a master’s degree in political science and a certificate in German studies. He focused on translation of foreign geographical names. He published a List of Names for Countries, Capitals and Inhabitants in 2000. This list was integrated into the style guide of the Canadian Department of Foreign Affairs. You can find him on Twitter at @AndrRacicot or contact him through his website.

Transcribed by Charlotte Schwennsen and edited by Anne Vincent.